TA Marseille, 20/12/2022, n°1800804

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 31 janvier 2018, la Société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (SOLEAM), représentée par Me Suzan, demande au tribunal :

1°) de condamner le cabinet Fradin Weck Architecture, la SCP Espagno-Milani, la société WSP France, la société Ingéco, la société Viriot Haubout, le bureau Véritas construction, la société les Travaux du Midi, la société Europ'elec Engineering International et la société Europ'elec à lui verser la somme de 2 000 000 euros à parfaire en fonction du rapport d'expertise au titre des désordres affectant la bibliothèque interuniversitaire (BIU) et le regroupement des laboratoires en économie publique et de la santé de la ville de Marseille ;

2°) de condamner chaque partie perdante à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- des températures anormalement élevées en façade Sud et Ouest et anormalement basses en façade Nord ont été constatées dès 2017 ;

- la persistance de ces désordres empêche le bon fonctionnement de la BIU, des salles de cours et des laboratoires de recherche ;

- la nacelle de nettoyage des façades dysfonctionne ;

- la responsabilité contractuelle des intervenants à l'acte de construire est engagée ;

- ils doivent être condamnés à proportion de ce qui est déterminé dans le rapport d'expertise.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 avril 2018, le 27 juillet 2022 et un mémoire récapitulatif enregistré le 24 octobre 2022, la société Viriot Hautbout, représentée par Me Vaissière, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la partie perdante la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle doit être mise hors de cause dès lors qu'elle n'est pas intervenue dans la conception des ouvrages en cause.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 août 2022 et le 1er septembre 2022, et un mémoire récapitulatif enregistré le 7 septembre 2022, la SCP Espagno-Milani et la société Panama architecture venant aux droits de la société Fradin Weck Architecture, représentées par Me Melloul, concluent au rejet de la requête, à la condamnation des parties perdantes au paiement des dépens et à ce que soit mise à la charge de chaque partie perdante le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- à titre principal, les moyens soulevés par la Société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise ne sont pas fondés ;

- la SOLEAM n'a pas actualisé ses demandes ;

- il existe un risque d'enrichissement sans cause de la SOLEAM ;

- aucune condamnation solidaire ne peut être prononcée contre elle dès lors que le groupement est conjoint ;

- à titre subsidiaire, la société WSP France, la société Viriot Haubout, le Bureau Veritas Construction, la société les Travaux du Midi, la société Europ'elec Engineering International, la société Europ'elec, la société Assurances Pilliot, la société Amlin Europe et la société Ingeco doivent la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

- à titre infiniment subsidiaire, il y a lieu de limiter le montant des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 10 % du montant des travaux hors taxes et, en tout état de cause, à de plus justes proportions.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 août 2018 et le 21 novembre 2022, la société les Travaux du Midi, représentée par Me Engelhard, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des parties perdantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable pour défaut de qualité à agir de la SOLEAM dès lors qu'elle n'est plus propriétaire du bâtiment, que la réception des travaux a été prononcée sans réserve et que le décompte général définitif a été notifié ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne peut être engagée en l'absence de réserve portant sur la non-conformité des vitrages ;

- la responsabilité du choix des vitrages incombe à la maitrise d'œuvre, qui ne souhaitait pas de différence d'apparence entre les vitrages du rez-de-chaussée et ceux des étages supérieurs et a donc préconisé des vitrages identiques ;

- les sociétés Panama, Espagno-Milani et WSP France sont responsables de la non-conformité des vitrages et doivent la garantir in solidum des condamnations prononcées à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2022, la société Bureau Veritas construction, représentée par la société d'avocats BHJP², conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de tout demandeur à son encontre le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que sa mission de contrôle n'inclut pas les opérations de conception ;

- à titre subsidiaire, les sociétés Panama, Espagno-Milani, WSP France, Travaux du Midi et Alquier doivent la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2022, la société Amlin Insurance SE et la société Assurances Pilliot, représentées par Me Houle, concluent au rejet de la requête.

Elles soutiennent que la garantie dommage-ouvrage souscrite auprès de la société Amlin Insurance SE n'est pas mobilisable.

Par un mémoire en intervention volontaire enregistré le 2 décembre 2022, lequel n'a pas été communiqué, l'université Aix-Marseille Université sollicite la condamnation solidaire des sociétés Panama, Espagno-Milani, WSP, Ingéco et Travaux du Midi à lui verser une somme de 2 373 000 euros au titre des travaux nécessaires à la reprise des désordres, de 988 250 euros en réparation de son préjudice avec intérêts à taux légal et capitalisation des intérêts, et à ce que soit mise à la charge de ces sociétés une somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable en sa qualité de propriétaire des bâtiments ;

- les désordres constatés rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la société les Travaux du Midi et le groupement de maitrise d'œuvre sont responsables de la non-conformité des vitrages ;

- le montant des travaux de reprise s'élève à 2 373 000 euros TTC ;

- elle a subi un préjudice d'un montant de 988 250 euros réparti comme suit :

- 100 000 euros au titre des frais d'architecte ;

- 200 000 euros au titre des frais d'assurance ;

- 156 000 euros au titre du surcoût énergétique ;

- 150 000 euros au titre de l'usure prématurée des installations ;

- 100 000 euros au titre du préjudice de fonctionnement ;

- 150 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- 70 000 euros de perte locative annuelle ;

- 62 250 euros au titre des surplus de frais de personnel pour remédier aux dysfonctionnements.

Des mémoires, enregistrés pour la SCP Espagno-Milani et la société Panama architecture les 21 septembre, 7 novembre et 29 novembre 2022 n'ont pas été communiqués.

Un mémoire, enregistré le 1er décembre 2022 par la société WSP France, représentée par Me Aze, n'a pas été communiqué.

Un mémoire, enregistré le 2 décembre 2022, présenté par la société Amlin Insurance SE et les assurances Pilliot, n'a pas été communiqué.

Un mémoire, enregistré le 2 décembre 2022, présenté par la SOLEAM, n'a pas été communiqué.

Un mémoire, enregistré le 5 décembre 2022, présenté par la société les Travaux du Midi, n'a pas été communiqué.

La procédure a été transmise aux sociétés Europ Elec Engineering International, Europ'Elec et Ingeco qui n'ont pas produit.

Vu :

- le rapport de M. A, expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal n°1800740 du 23 avril 2018, daté du 19 avril 2022, et le rapport complémentaire daté 9 mai 2022 ;

- la décision désignant M. B en qualité de sapiteur ;

- l'ordonnance du 10 juin 2022 taxant les frais et honoraires de M. A à la somme de 71 262 euros ;

- l'ordonnance du 10 juin 2022 taxant les frais et honoraires de M. B à la somme de 18 461, 52 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C ;

- les conclusions de M. Grimmaud, rapporteur public ;

- les observations de Me Suzan, représentant la société requérante, de Me Engelhard, représentant la société les Travaux du Midi, de Me Garnier, substituant Me Xoual, réprésentant Aix-Marseille Université, de Me Vaissière, représentant la société Viriot-Hautbout, de Me Aze, représentant la société WSP France, de Me Puchol, représentant le bureau Veritas et de Me Lussey-Quentin, substituant Me Houle, représentant Amlin assurance SE et le cabinet d'assurance Pilliot.

Une note en délibéré présentée par la société Travaux du Midi a été enregistrée le 13 décembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Marseille a confié à la SOLEAM, par un marché de délégation de maîtrise d'ouvrage publique conclu le 30 janvier 2009, la réalisation de l'opération de construction d'une bibliothèque interuniversitaire et du regroupement de laboratoires de recherche, sis îlot Bernard-Dubois dans la ZAC Saint-Charles à Marseille. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement conjoint composé de la société Fradin Weck architecture, mandataire solidaire, aux droits de laquelle vient la société Panama, de la société Espagno-Milani, de la société WSP France et de la société Ingeco. Le lot n°1 "bâtiment" a été confié à la société les Travaux du Midi, le lot n°2 "chauffage-ventilation-climatisation-désenfumage-plomberie-sanitaires" à la société Viriot Hautbout et le lot n°3 " électricité " au groupement composé des entreprises Europ'Elec Engineering International et Europ'Elec. Le lot d'assurance dommage ouvrage et de contrat collectif de responsabilité décennale a été attribué au groupement composé du cabinet d'Assurances Pilliot et de la société Amlin Europe NV, aux droits de laquelle vient la société Amlin Insurance SE. La réception des travaux a été prononcée le 28 février 2017. À la suite de désordres tenant à des températures anormalement élevées en façade Ouest et Nord ainsi qu'un dysfonctionnement de la nacelle de nettoyage, la SOLEAM a sollicité du tribunal, le 30 janvier 2018, la désignation d'un expert aux fins de déterminer la nature, l'étendue et les causes des désordres affectant le bâtiment abritant la bibliothèque interuniversitaire, les salles de cours et les laboratoires de recherche, demande à laquelle a fait droit le juge des référés par une ordonnance n°1800740 du 23 avril 2018. Cette mission a été étendue à l'ensemble des locaux de l'immeuble de la bibliothèque universitaire le 16 décembre 2019. L'expert a remis son rapport le 19 avril 2022, suivi d'un rapport complémentaire le 9 mai 2022. La SOLEAM demande au tribunal de condamner les sociétés Panama, Espagno-Milani, WSP France, Ingéco, Viriot Haubout, bureau Véritas construction, les Travaux du Midi, Europ'elec Engineering International et Europ'elec à lui verser la somme de 2 000 000 euros à parfaire au titre des désordres affectant les ouvrages en cause.

Sur l'intervention de l'université Aix-Marseille-Université :

2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions du requérant, soit à celles du défendeur. L'université Aix-Marseille-Université sollicite l'indemnisation, pour son propre compte, des désordres survenus à la suite de l'opération de construction de la bibliothèque interuniversitaire de Marseille et des laboratoires de recherche. Cette intervention ne tend pas aux mêmes fins que les conclusions présentées par la SOLEAM. Par suite, elle doit être rejetée comme irrecevable.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Travaux du Midi et la société WSP :

3. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et qui met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Par suite, dès lors que la SOLEAM, maitre d'ouvrage délégué de l'opération de construction, recherche la responsabilité contractuelle des constructeurs de cette opération sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, la fin de non-recevoir tenant à l'existence de la réception des travaux doit être écartée.

4. Le transfert de propriété de ces bâtiments, le 20 novembre 2018, de la commune de Marseille à l'État, n'a pas pour effet de priver la SOLEAM de sa qualité pour exercer un tel recours. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée à ce titre doit être rejetée.

5. Il appartient au maître de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans l'exécution du contrat conclu avec celui-ci, soit de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d'assortir le décompte de réserves. À défaut, si le maître d'ouvrage notifie le décompte général du marché, le caractère définitif de ce décompte fait obstacle à ce qu'il puisse obtenir l'indemnisation de son préjudice éventuel sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, y compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus postérieurement à l'établissement du décompte. Il lui est alors loisible, si les conditions en sont réunies, de rechercher la responsabilité du constructeur au titre de la garantie décennale et de la garantie de parfait achèvement lorsque celle-ci est prévue au contrat. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir tirée par la société les travaux du Midi de la notification du décompte général définitif concernant son lot doit être écartée.

Sur l'exception de nullité du contrat soulevée par la société Travaux du Midi :

6. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

7. La circonstance, à la supposer établie, que le maitre d'ouvrage n'aurait pas déterminé avec précision la nature et l'étendue de ses besoins quant aux températures à respecter dans les locaux à construire ne saurait être regardée comme rendant le contrat illicite ou constituant un vice d'une gravité telle que le juge devrait annuler le contrat. Par suite, l'exception de nullité soulevée par la société les Travaux du Midi doit être écartée.

Sur la responsabilité contractuelle :

8. La SOLEAM invoque "la responsabilité contractuelle" des intervenants à l'opération de construction en litige.

9. D'une part, la réception d'un ouvrage met fin aux relations contractuelles entre le maître de l'ouvrage et les entrepreneurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. La responsabilité des entrepreneurs ne peut alors plus être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour des désordres qui affecteraient l'ouvrage. Toutefois, les obligations des entrepreneurs sont prolongées, à compter de la réception de l'ouvrage, pendant le délai de la garantie de parfait achèvement prévue par le cahier des clauses administratives générales, en ce qui concerne les réserves faites à l'occasion de cette réception. Les désordres qui apparaissent pendant cette période sont également couverts par la garantie de parfait achèvement. En vertu d'une telle garantie, le constructeur est tenu de remédier aux désordres signalés dans le délai qu'elle prévoit afin de rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché.

10. D'autre part, la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.

11. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux a été prononcée le 28 février 2017 avec effet au 31 janvier 2017, les seules réserves émises portant sur des malfaçons qui ne concernent pas les désordres en litige. Dans l'année de cette réception, des températures anormalement élevées ont été constatées dans le bâtiment au niveau des façades Sud, Ouest et Est, rendant très difficile l'occupation des locaux concernés, ainsi que des températures anormalement basses en été dans l'amphithéâtre Nord. La SOLEAM a également relevé un dysfonctionnement de la nacelle de nettoyage. Par un courrier du 16 novembre 2017, cette dernière a adressé une mise en demeure de réparer les désordres relatifs aux températures anormalement élevées à la société Travaux du Midi en procédant au remplacement des vitrages. Le 30 janvier 2018, elle a saisi le juge des référés du tribunal, ce qui a eu pour effet d'interrompre le délai de la garantie de parfait achèvement.

12. Contrairement à ce que soutient la société Travaux du Midi, l'intervention d'un décompte général définitif sans réserve ne fait obstacle qu'à une réclamation portant sur les travaux nécessaires à la levée des réserves formulées lors de la réception des travaux, et non à l'exercice d'une action portant sur la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité des sociétés Viriot Haubout, Travaux du Midi, Europ'elec Engineering International et Europ'elec, entrepreneurs aux opérations de construction en litige, est susceptible d'être engagée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Contrairement à ce que soutient encore la société Travaux du Midi, pour les raisons exposées au point 3, la circonstance que la réception des travaux a été prononcée ne fait pas obstacle à ce que la SOLEAM recherche la responsabilité de cette entreprise sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. En revanche, la responsabilité du bureau Véritas construction, qui était chargé d'une mission de contrôle technique et n'avait pas la qualité d'entrepreneur, ne peut être recherchée par la SOLEAM sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. En tout état de cause, l'expert n'a reconnu aucune faute de ce bureau dans la survenance des désordres en litige. Par ailleurs, la responsabilité des maîtres d'œuvre, qui ne peut être engagée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, est susceptible d'être engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun analysée au point 10.

En ce qui concerne la responsabilité des entrepreneurs :

S'agissant du désordre lié au dysfonctionnement de la nacelle :

13. Il résulte du rapport d'expertise remis le 19 avril 2022 que les désordres relatifs au dysfonctionnement de la nacelle de nettoyage, laquelle relevait du lot n°3 " électricité " dont sont titulaires les entreprises Engineering International et Europ'elec, sont résolus, la SOLEAM ayant expressément demandé à l'expert que ce chef de mission soit écarté. Dès lors que la SOLEAM ne justifie pas d'un préjudice actuel à ce titre, ses conclusions visant à l'indemniser de ce désordre doivent donc être rejetées.

S'agissant du désordre lié aux températures anormalement élevées en été et en hiver dans les bureaux et salles de cours :

14. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que des températures anormalement élevées, de l'ordre de 26°C à 30°C, voire au-delà, sont constatées en été ainsi qu'en hiver dans certaines salles de cours et bureaux des façades Ouest, Sud, et Est. Si les excès de température relevés dans certains bureaux en période estivale étaient principalement dus à un mauvais fonctionnement des installations de rafraîchissement, lequel a été réglé à l'automne 2018, des températures anormalement élevées en hiver persistent dans ces locaux. L'expert a formulé deux hypothèses de causes de ce désordre en fonction des niveaux de température requis en hiver dans les bâtiments. Il résulte du programme fonctionnel et technique du marché de maîtrise d'ouvrage déléguée conclu entre la ville de Marseille et la SOLEAM que s'agissant de " l'ambiance thermique ", la température prévue dans les bureaux est de " 19°C l'hiver et 25 °C l'été ". Il résulte encore du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n°02 CVC désenfumage, plomberie, sanitaires, faisant application du programme fonctionnel, que les conditions intérieures à maintenir dans les bureaux sont de " 19° C+/- 1°C en hiver et 24°C +/-2°C en été ". La notice thermique, incluse dans le cahier des clauses techniques communes (CCTC), mentionne cependant, s'agissant des températures intérieures dans les bureaux, " 19°C en été ; 26°C en hiver ". Compte tenu des précisions du programme fonctionnel et technique, du CCTP du lot n°02 et de la réglementation en vigueur, les indications du CCTC, qui résultent d'une erreur de plume, doivent être regardées comme fixant des températures de 19°C en hiver et de 26°C en été. Il ne résulte d'aucun document contractuel que la plage de température à respecter en période hivernale serait comprise entre 19°C et 26°C, ainsi que le soutiennent la société WSP et la SOLEAM. L'expert relève en outre que ces niveaux de températures sont conformes à la réglementation, aux recommandations de la médecine du travail ainsi qu'à l'objectif d'économies d'énergie recherchées par l'opération. Par suite, il y a lieu de considérer que la température à maintenir dans les bureaux est de 19° C+/- 1°C en hiver.

15. En retenant ces températures, l'expert a estimé que les désordres relatifs aux températures anormalement élevées dans les locaux résultaient de deux causes, pour 10 % d'une non-conformité des vitrages, et pour 90 % d'une mauvaise conception des protections solaires.

16. S'agissant de la non-conformité des vitrages, il résulte du rapport de l'expert que les vitrages installés aux étages ont un facteur solaire de 0,57, qui n'est pas conforme à celui spécifié par le CCTP, faisant référence à la notice thermique, indiquant 0,28 pour les étages et 0,63 pour le rez-de-jardin et le rez-de-chaussée. L'expert considère que cette non-conformité est responsable d'une élévation de température d'environ 3 à 4 °C les jours de fort ensoleillement en période estivale. La pose des vitrages relevait du lot n°1 " bâtiment ", confié à la société les Travaux du Midi, qui a sous-traité cette mission à l'entreprise Alquier. Il résulte notamment de l'instruction que le devis annexé par la société Alquier au contrat de sous-traitance conclu avec la société les Travaux du Midi le 1er décembre 2014 mentionnait un vitrage comportant un facteur solaire de 0,63, soit non conforme aux spécifications du CCTP. Si la société Travaux du Midi fait valoir que les maîtres d'œuvre ont délibérément choisi, pour des raisons esthétiques, des vitrages de même teinte au rez-de-chaussée et aux étages des bâtiments alors que les documents contractuels exigeaient des facteurs solaires distincts, une telle circonstance est sans incidence sur l'obligation, pour l'entrepreneur, de respecter les spécifications figurant dans les documents contractuels pour la pose des vitrages. Par suite, la responsabilité contractuelle de la société Travaux du Midi est engagée au titre de ce désordre.

17. S'agissant de la conception erronée des protections solaires, l'expert n'a retenu la faute d'aucun entrepreneur. La responsabilité des entrepreneurs ne peut donc être engagée au titre de ce désordre sur le fondement de la garantie de parfait achèvement.

S'agissant du désordre lié aux températures anormalement basses en été dans l'amphithéâtre nord

18. Il résulte également de l'instruction que des températures anormalement basses en été, de l'ordre de 18°C, ont été relevées dans l'amphithéâtre situé au nord.

19. L'expert n'a pas retenu de faute des entrepreneurs s'agissant de ce désordre. La responsabilité des entrepreneurs ne peut donc être engagée au titre de ce désordre sur le fondement de la garantie de parfait achèvement.

20. Il résulte de ce qui précède que seule la responsabilité de la société Travaux du Midi peut être engagée, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, s'agissant de la non-conformité des vitrages.

En ce qui concerne la responsabilité des maîtres d'œuvre :

S'agissant du désordre lié aux températures anormalement élevées en été et en hiver dans les bureaux et salles de cours :

21. En l'espèce, l'expert relève que tous les désordres étaient présents à la réception de l'ouvrage sans être pour autant décelables avant une occupation complète du bâtiment. S'agissant de la non-conformité des vitrages, il résulte de l'instruction que les échantillons de vitrage validés par la maitrise d'œuvre durant l'exécution des travaux, et notamment les architectes, ne comportaient pas la mention du facteur solaire. Un échange entre la société Panama et la société Alquier le 8 juillet 2015 révèle d'ailleurs que l'architecte constate l'absence d'indication sur l'échantillon qui lui a été fourni. Toutefois, il résulte également de l'instruction que l'absence de différence de teintes entre les vitrages des rez-de-chaussée et des étages, en l'absence de facteurs solaires différents, était perceptible à l'œil nu, de sorte que les maîtres d'œuvre, professionnels du bâtiment, auraient dû solliciter, auprès de l'entreprise chargée de leur installation, la communication des fiches techniques et d'échantillons des vitrages comportant la mention du facteur solaire afin de s'assurer de leur conformité aux documents contractuels. Dans ces conditions, les maîtres d'œuvre se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur la non-conformité des vitrages affectant l'ouvrage, dont ils pouvaient pourtant avoir connaissance durant le chantier, ne permettant pas ainsi à la SOLEAM d'émettre des réserves sur ce point lorsqu'ils l'ont engagée à signer la réception des travaux le 28 février 2017. Par suite, leur responsabilité est engagée au titre du défaut de conseil lors des opérations de réception.

22. Il résulte du marché de maîtrise d'œuvre conclu avec le groupement d'entreprises conjoint que la mission d'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception incombait à la société Panama, pour 60 %, à la SCP Espagno Milani, pour 5 %, en leur qualité d'architectes, et à la société WSP France, bureau d'études, pour 35 %, et que la société Ingéco n'intervenait qu'en qualité d'économiste de la construction. Dès lors, il n'y a pas lieu de retenir la responsabilité de la société Ingéco au titre du défaut de conseil. Les sociétés Panama et Espagno-Milani font valoir que la société WSP, dès lors qu'elle était chargée de la rédaction de la notice technique et du CCTP, devait s'assurer que les équipements étaient en conformité avec l'étude thermique. Toutefois, les sociétés Panama et Espagno Milani étaient également chargées d'une mission d'assistance au maitre d'ouvrage lors de la réception des travaux, les échantillons de vitrage ayant d'ailleurs été validés par les architectes. Dans ces conditions, la SOLEAM est fondée à rechercher la responsabilité des sociétés Panama, de la SCP Espagno Milani ainsi que de la société WSP France pour manquement à leur obligation de conseil au titre de la non-conformité des vitrages.

23. S'agissant de la mauvaise conception des protections solaires, l'expert considère qu'il s'agit d'un vice de conception incombant à la société WSP, rédactrice du CCTP, chargée de la conception des installations de CVC et du respect des règles de la réglementation thermique 2005, qui n'a pas pris en considération dans son étude thermique les températures ambiantes pouvant être atteintes dans les bureaux en période hivernale sous l'influence du rayonnement solaire. L'expert impute également une part de cette erreur aux architectes qui, bien que ne maîtrisant pas ce sujet, auraient pu s'inquiéter des niveaux de température atteints. Il résulte toutefois de l'instruction que le désordre en cause n'était pas apparent au moment de la réception, et il ne résulte pas de l'instruction que les maîtres d'œuvre auraient décelé durant l'exécution des travaux les erreurs affectant la conception des protections solaires et qu'ils en avaient connaissance au moment de la réception de l'ouvrage. Par suite, la SOLEAM n'est pas fondée à rechercher la responsabilité des maîtres d'œuvre du fait d'un manquement à leur devoir de conseil.

S'agissant du désordre lié aux températures anormalement basses en été dans l'amphithéâtre Nord :

24. L'expert considère que ce désordre provient d'une erreur de conception dans la notice thermique rédigée par la société WSP, qui a entrainé une configuration des réseaux de distribution chaud ou froid ne permettant pas de réguler la température des bâtiments situés au Nord et au Sud séparément. Toutefois, alors que la réception de ces installations s'est faite sans réserve, il ne résulte pas de l'instruction que ce désordre était apparent ou que les maîtres d'œuvre en avaient eu connaissance avant la réception de l'ouvrage. Par suite la SOLEAM n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre du fait d'un manquement à leur devoir de conseil.

25. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la société les Travaux du Midi, de la société Panama, de la SCP Espagno Milani, de la société WSP France est engagée au titre de la non-conformité des vitrages.

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

26. Compte tenu de ce que la responsabilité de la pose des vitrages incombait à la société Travaux du Midi et que les maîtres d'œuvre ne sont responsables qu'au titre d'un défaut de conseil lors des opérations de réception, il y a lieu de fixer la part de responsabilité tenant à la non-conformité des vitrages de la société Travaux du Midi à hauteur de 70 % et celle des sociétés Panama, Espagno-Milani et WSP France à hauteur de 30 %. Au regard des missions respectives de chacun de ces maîtres d'œuvre au titre de l'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception telle qu'exposée au point 22, il y a lieu de fixer la part de responsabilité incombant à la société Panama dans la survenance de ce désordre à hauteur de 18 %, celle de la SCP Espagno-Milani à 1,5 %, et celle de la société WSP France à 10,5 %.

En ce qui concerne le préjudice

27. L'expert a évalué le coût des travaux de reprise des désordres en litige avec l'assistance d'un bureau d'études. Il résulte de l'instruction qu'à l'exception des sociétés d'assurance Pilliot et Amlin, qui ont missionné un expert, lequel a validé les chiffrages retenus, les parties présentes lors des opérations d'expertise n'ont pas procédé au chiffrage des travaux, de sorte qu'il y a lieu de retenir celui figurant dans le rapport d'expertise. Le coût des travaux de remplacement des vitrages a ainsi été évalué à 570 000 euros hors taxes (HT), auxquels il convient d'ajouter des frais de maitrise d'œuvre à hauteur de 60 000 euros HT. L'expert précise que cette évaluation intègre le coût de la dépose et repose des brise-soleil pour un montant de 115 000 euros HT, qu'il convient de déduire en cas de remplacement simultanée des vitrages et des brise-soleil. En l'absence de toute précision par la SOLEAM sur l'engagement de ces travaux, il y a lieu de déduire le montant de 115 000 euros du montant des travaux. Par suite, il y a lieu de condamner la société les Travaux du Midi, la société Panama, la SCP Espagno-Milani et la société WSP France à verser à la SOLEAM la somme de 618 000 euros TTC pour les travaux correspondants au remplacement des vitrages des bâtiments. Compte tenu des parts de responsabilité définies au point précédent, il y a lieu de condamner la société les Travaux du Midi à verser la somme de 432 600 euros, la société Panama la somme de 111 240 euros, la société WSP la somme de 64 890 euros et la société Espagno-Milani la somme de 9 270 euros , à la SOLEAM.

Sur les appels en garantie :

28. Dès lors que la répartition de la charge de la dette définie aux points 26 et 27 permet une exacte prise en compte de la part de responsabilité des sociétés les Travaux du Midi, Panama, Espagno-Milani et WSP France dans la survenance du dommage, les conclusions d'appel en garantie présentées par la société les Travaux du Midi et les sociétés Panama et Espagno-Milani les unes à l'encontre des autres ou contre la société WSP doivent être rejetées.

29. Les sociétés Panama et Espagno-Milani ne sont pas davantage fondées à appeler en garantie les autres constructeurs et maîtres d'œuvre de l'opération, contre lesquels aucune condamnation n'a été prononcée. Leurs conclusions d'appel en garantie doivent donc être rejetées.

30. Le présent jugement ne prononce aucune condamnation à l'encontre du bureau Veritas. Les conclusions de ce dernier tendant à être garantie des condamnations prononcées à son encontre doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

31. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'État peut être condamné aux dépens. ".

32. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des sociétés les Travaux du Midi, Panama, Espagno-Milani et WSP France, à due concurrence de leur part de responsabilité telle que définie au point 26, les frais et honoraires de l'expertise de M. A, liquidés et taxés à la somme de 71 262 euros, par une ordonnance du tribunal du 10 juin 2022, ainsi que les frais et honoraires de l'expertise de M. B, liquidés et taxés à la somme de 18 461,52 euros, par une ordonnance du tribunal du même jour, qui constituent des dépens de l'instance.

Sur les frais liés au litige :

33. L'université Aix-Marseille-Université n'ayant pas la qualité de partie à l'instance, les conclusions qu'elle présente en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

34. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soient mises à la charge de la SOLEAM, qui n'a pas la qualité de partie perdante, les sommes que demandent les sociétés Panama, Espagno-Milani, Viriot-Hautbout, Bureau Veritas construction et WSP France au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune des sociétés WSP France, Panama, Espagno-Milani et Travaux du Midi la somme de 1 000 euros à verser à la SOLEAM et la somme de 500 euros à verser à la société Viriot Hautbout au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La société les Travaux du Midi est condamnée à verser la somme de 432 600 euros à la SOLEAM.

Article 2 : La société Panama est condamnée à verser la somme de 111 240 euros à la SOLEAM.

Article 3 : La SCP Espagno-Milani est condamnée à verser la somme de 9 270 euros à la SOLEAM.

Article 4 : La société WSP France est condamnée à verser la somme de 64 890 euros à la SOLEAM.

Article 5 : Les frais d'expertise de M. A, liquidés et taxés à la somme de 71 262 euros, les frais d'expertise de M. B, liquidés et taxés à la somme de 18 461, 52 euros sont mis à la charge de la société les Travaux du Midi, de la société Panama, de la SCP Espagno-Milani et de la société WSP France à concurrence de leur part de responsabilité telle que définie au point 26.

Article 6 : La société les Travaux du Midi, la société Panama, la SCP Espagno-Milani et la société WSP France verseront chacune la somme de 1 000 euros à la SOLEAM et la somme de 500 euros à la société Viriot-Hautbout en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent jugement sera notifié à la Société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise, aux sociétés Panorama architecture, Espagno-Milani, WSP France, Viriot-Hautbout, les Travaux du Midi, bureau Veritas construction, Ingéco, Europ'elec, Europ'elec Engineering International, Assurances Pilliot, Amlin Insurance SE, Amlin Europe NV et à l'université Aix-Marseille-Université.

Copie en sera adressée à MM. A et B, experts.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Gonneau, président,

Mme Simeray, première conseillère,

Mme Devictor, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2022.

La rapporteure,

Signé

C. CLe président,

Signé

P-Y. Gonneau

La greffière,

Signé

A. Martinez

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

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