TA Martinique, 28/11/2022, n°2000125

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2020, des mémoires complémentaires, enregistrés les 5 février 2021, 28 juin 2021, 12 octobre 2021 et 14 décembre 2021, ainsi que des pièces complémentaires, enregistrées le 8 février 2021 et le 30 septembre 2022, la SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL Ingénierie et Technique de la Construction (ITC) et la SAS CS Ingénierie (CSI), représentées par la société d'avocats Fidal, demandent au tribunal :

1°) d'arrêter le décompte général et définitif du marché de conception-réalisation-aménagement d'une extension comportant 160 places de détenus au centre pénitentiaire de Ducos conclu le 22 mars 2011 et de fixer le solde à la somme totale de 20 800 233,32 euros toutes taxes comprises en leur faveur, à répartir comme suit :

- 19 920 288,74 euros toutes taxes comprises à verser à la SAS Sogea Martinique,

- 879 944,58 euros toutes taxes comprises à verser à la SAS AIA Studio Environnement, à la SARL ITC et à la SAS CSI ;

2°) de condamner l'Agence publique pour l'immobilier de la justice au paiement de ces sommes, assorties des intérêts moratoires à compter du 2 janvier 2016 ;

3°) en tant que de besoin, d'ordonner avant dire droit la désignation d'un expert afin de donner son avis sur le montant à retenir au titre du solde du marché de conception-réalisation-aménagement d'une extension comportant 160 places de détenus au centre pénitentiaire de Ducos ;

4°) de mettre à la charge de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

Sur la recevabilité de la requête :

- leur requête est recevable dès lors qu'elles ont respecté le délai de réclamation de 45 jours prévu à l'article 13.42 du CCAG-Travaux, le maître de l'ouvrage ne les ayant pas informées du changement de l'adresse de son siège ;

- ce délai de réclamation ne leur était en tout état de cause pas opposable, le décompte général n'ayant pas été signé par la personne responsable du marché, ni notifié par le biais d'un ordre de service ;

- subsidiairement, le décompte général du marché a été notifié de manière prématurée en l'absence de levée de l'ensemble des réserves ;

Sur la fixation du solde du marché :

En ce qui concerne les sommes dues à la SAS Sogea :

- la société est fondée à demander une indemnisation au titre de la perte de couverture de ses frais généraux, qu'elle avait évaluée à 1 423 757,81 euros hors taxes dans sa réclamation préalable, dès lors que le maître de l'ouvrage est à l'origine des retards d'exécution du contrat ;

- elle a droit au paiement des travaux supplémentaires qu'elle a réalisés suite au dévoiement des câbles d'alimentation du dispositif d'accroissement de capacité électrique, qu'elle a évalués à 48 896,15 euros hors taxes dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit au paiement des travaux supplémentaires qu'elle a réalisés sur les portiques de détection des métaux parloirs du niveau 12 à hauteur de 4 321,74 euros hors taxes, ainsi que l'a reconnu le maître de l'ouvrage lorsqu'il s'est prononcé sur sa réclamation préalable ;

- elle a droit au paiement des travaux de modification des courettes à hauteur de 36 646,54 euros hors taxes, ainsi qu'elle l'a évalué dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit au paiement des travaux supplémentaires de réalisation d'un nouveau réseau d'alimentation en eau potable et de défense incendie à hauteur de 116 313,00 euros hors taxes, ainsi qu'elle l'a évalué dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit au paiement des travaux de modification du paramétrage de l'interphonie du parloir n° 12 à hauteur de 420,00 euros hors taxes, ainsi qu'elle l'a évalué dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit à l'indemnisation des coûts d'immobilisation qu'elle a supportés du fait des arrêts de chantier à hauteur de 484 125,04 euros hors taxes, ainsi qu'elle l'a évalué dans sa réclamation préalable ;

- en lui imposant des contraintes horaires non justifiées par la sécurité, en tardant à répondre à ses demandes d'aménagement, en modifiant les procédures de sûreté pour les rendre plus contraignantes, et en tardant à mettre certaines parties des ouvrages à sa dispositions le maître d'ouvrage a engagé sa responsabilité à son égard ;

- elle peut prétendre à une indemnisation de 29 280 euros hors taxes à raison des retards mis par le maître de l'ouvrage à lui remettre ses rapports de désamiantage, ainsi que ce dernier l'a admis lorsqu'il s'est prononcé sur sa réclamation préalable ;

- la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée à raison des retards mis pour décider la réalisation des plots supports de la dalle du groupe froid, pour valider les études de conception et d'exécution ;

- les pénalités de retard que l'Agence publique pour l'immobilier de la justice lui a appliquées, pour un montant de 1 407 273,95 euros, ne sont pas justifiées ;

- elle a droit à la somme de 113 490,20 euros hors taxes au titre de la révision des prix ;

- elle a droit au bénéfice des intérêts moratoires à raison des retards mis par le maître de l'ouvrage dans le paiement de ses acomptes mensuels, qu'elle a évalués à 134 551,76 euros dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit au bénéfice des intérêts moratoires au titre de retards de paiement consécutifs à l'application de pénalités abusives par le maître de l'ouvrage, qu'elle a évalués à 1 563 857,72 euros dans sa réclamation préalable ;

- elle a également droit au bénéfice d'une indemnité compensatrice des frais financiers qu'elle a dû exposer à raison de ces retards de paiement, qu'elle a évaluée à la somme de 4 268 894,55 euros dans sa réclamation préalable ;

- elle a droit à l'indemnisation des frais bancaires qu'elle a exposés à titre de cautions de retenue de garantie, qu'elle a évalués à la somme de 20 499,49 euros hors taxes dans sa réclamation préalable ;

- le montant du solde du marché doit être fixé à la somme de 19 920 288,74 euros toutes taxes comprises en sa faveur ;

- elle est fondée à demander le versement de cette somme, assortie des intérêts moratoires à compter d'un délai de 45 jours suivant la date à laquelle le maître de l'ouvrage aurait dû notifier le décompte général ;

En ce qui concerne les sommes dues aux sociétés AIA Environement, ITC et CSI :

- les sociétés ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés au dévoiement d'un câble du dispositif d'accroissement de capacité électrique, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés au nouvel aménagement des locaux du service technique au niveau + 5, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la substitution du vide-sanitaire de l'hébergement par des combles rendus visitables, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la création d'un cheminement bis, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la fourniture et la pose d'une platine de commande à boutons dans le poste central d'information, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés aux courants faibles dans le sas de la nouvelle enceinte, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la mise en place d'équipements complémentaires dans les sanitaires de l'administration, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la reprise des plans et de la nomenclature des portes à la suite de l'ordre de service n° 184, qui font suite à une modification unilatérale de programme décidée par le maître de l'ouvrage ;

- elles ont encore droit au paiement des travaux de renforcement des fondations de la clôture et des études complémentaires pour la réalisation des fondations du nouvel hébergement, qui étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ;

- elles ont droit à l'indemnisation des coûts d'immobilisation de leurs personnels générés par les restrictions des horaires et conditions d'accès au chantier imposées par le maître d'ouvrage, ainsi qu'aux retards mis par celui-ci pour valider les études de conception et d'exécution ;

- elles réitèrent l'intégralité des demandes qu'elles ont exprimées à l'occasion de leur mémoire de réclamation du 15 octobre 2019, qu'elles ont joint à la procédure ;

- le montant du solde du marché doit être fixé à la somme de 879 944,58 euros toutes taxes comprises en leur faveur ;

- elle sont fondées à demander le versement de cette somme, assortie des intérêts moratoires à compter d'un délai de 45 jours suivant la date à laquelle le maître de l'ouvrage aurait dû notifier le décompte général.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2020, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 mai 2021, 10 septembre 2021 et 12 novembre 2021, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, représentée par le Cabinet Earth Avocats, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis solidairement à la charge de la SAS Sogea Martinique, de la SAS AIA Studio Environnement, de la SARL Ingénierie et Technique de la Construction (ITC) et de la SAS CS Ingénierie (CSI) une somme de 8 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en raison du caractère définitif du décompte général, les sociétés n'ayant pas présenté leur réclamation préalable dans le délai de 45 jours prévu par l'article 13.44 du CCAG-Travaux ;

- la réception des travaux a été prononcée, après qu'elle ait renoncé à ordonner la réfection des dernières réserves et proposé, conformément aux stipulations du marché, une réfaction sur le prix d'un montant de - 102 310,62 euros HT, par courrier du 5 mai 2017 ;

- les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2006-208 du 22 février 2006 ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans sa version modifiée issue du décret n° 91-472 du 14 mai 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public,

- et les observations de Me Charvin, avocat de la SAS Sogea Martinique, de la SAS AIA Studio Environnement, de la SARL ITC et de la SAS CSI.

Une note en délibéré présentée pour la SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI a été enregistrée le 17 novembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice a lancé, en sa qualité de maître d'ouvrage, une opération de construction d'une extension du centre pénitentiaire de Ducos afin de créer 160 places supplémentaires pour les détenus. Par un acte d'engagement signé le 22 mars 2011 et notifié le 31 mars 2011, elle a confié la conception, la réalisation et l'aménagement de cette opération à un groupement conjoint d'entreprises constitué entre la SARL Société Industrielle Martiniquaise de Préfabrication (SIMP), mandataire solidaire, la SAS Architectes Associés pour l'Environnement (AA'E), devenue SAS AIA Environnement, la SARL Ingénierie et Technique de la Construction (ITC) et la SAS CS Ingénierie (CSI), cotraitantes. Les premières opérations de réception des travaux ont donné lieu à de nombreuses réserves. La SARL SIMP a présenté, par courrier daté du 17 novembre 2016, un projet de décompte final pour l'ensemble des membres du groupement d'entreprises, à laquelle le maître de l'ouvrage n'a pas donné suite. Après plusieurs réclamations et une mise en demeure d'établir le décompte, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice a notifié à la SARL SIMP, par courrier daté du 11 septembre 2019, le décompte général du marché. La SARL SIMP a alors adressé au maître de l'ouvrage, par un courrier daté du 22 octobre 2019, deux réclamations préalables afin de contester le décompte général, l'une concernant sa propre situation et l'autre concernant la situation des trois sociétés cotraitantes. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice a rejeté ces deux réclamations par une décision du 9 janvier 2020. Dans la présente instance, la SAS Sogea Martinique, venant aux droits de la SARL SIMP, la SAS AIA Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI demandent au tribunal administratif, le cas échéant après avoir ordonné avant-dire droit une expertise, d'arrêter le décompte général et définitif du marché de conception-réalisation-aménagement d'une extension de 160 places au centre pénitentiaire de Ducos, de fixer le solde en leur faveur au montant total de 20 800 233,32 euros toutes taxes comprises et de condamner l'Agence publique pour l'immobilier de la justice à leur verser cette somme.

Sur la fin de non-recevoir contractuelle opposée en défense :

2. De première part, aux termes de l'article 13, intitulé " Modalités de règlement des comptes ", du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, approuvé par décret du 21 janvier 1976 et modifié par décret du 14 mai 1991, auquel renvoie l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux : " () 13.4. Décompte général - Solde : / () 13.42. Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service () / 13.44. L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'œuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de () quarante-cinq jours dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. / () Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'œuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50. / () 13.45. Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'oeuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché () ". Aux termes de l'article 5, intitulé " Décompte des délais - Formes des notifications ", du même cahier des clauses administratives générales : " 5.1. Tout délai imparti dans le marché au maître de l'ouvrage, à la personne responsable du marché, au maître d'œuvre ou à l'entrepreneur commence à courir le lendemain du jour où s'est produit le fait qui sert de point de départ à ce délai. / 5.2. Lorsque le délai est fixé en jours, il s'entend en jours de calendrier et il expire à la fin du dernier jour de la durée prévue () ".

3. Il résulte de ces stipulations que l'entrepreneur dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle il a reçu notification du décompte général pour faire parvenir au représentant du pouvoir adjudicateur un mémoire en réclamation. Si, avant l'expiration de ce délai, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas reçu le mémoire contestant le décompte général, celui-ci devient définitif et ne peut plus être contesté. Il en irait autrement dans l'hypothèse où l'entrepreneur établit qu'il a remis son mémoire en réclamation aux services postaux en temps utile afin qu'il parvienne avant l'expiration du délai applicable compte tenu du délai d'acheminement normal du courrier.

4. De deuxième part, l'article 15 du décret du 22 février 2006 relatif au statut de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice dispose : " Le directeur général : / () 4° Conclut les conventions, contrats et marchés se rapportant aux missions de l'agence et à son fonctionnement, à l'exception des contrats mentionnés au 3° de l'article 12, qu'il signe après autorisation expresse du conseil d'administration ; il est l'autorité responsable des marchés ; / () Le directeur général peut déléguer sa signature aux titulaires des emplois de direction et à des chefs de service () ".

5. De troisième part, l'article 11.4, intitulé " Réception ", du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux, stipule : " () c) Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini au 1 de l'article 44 du CCAG-Travaux. / d) Si certains ouvrages ou certaines parties d'ouvrages ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché sans que les imperfections constatées soient de nature à porter atteinte à la sécurité, au comportement ou à l'utilisation des ouvrages, le pouvoir adjudicateur peut, eu égard à la faible importance des imperfections et aux difficultés que présenterait la mise en conformité, renoncer ordonner la réfection des ouvrages estimés défectueux et proposer au titulaire une réfaction sur les prix. / Si le titulaire accepte la réfaction, les imperfections qui l'ont motivées se trouvent couvertes de ce fait et la réception est prononcée sans réserve. / Dans le cas contraire, le titulaire demeure tenu de réparer ces imperfections, la réception étant prononcée sous réserve de leur réparation. / e) Toute prise de possession des ouvrages par le maître de l'ouvrage doit être précédée de leur réception () ". L'article 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, approuvé par décret du 21 janvier 1976 et modifié par décret du 14 mai 1991, auquel renvoient les articles 2 et 16 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux, stipule : " 41.6. Lorsque la réception est assortie de réserves, l'entrepreneur doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par la personne responsable du marché ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini au 1 de l'article 44. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, la personne responsable du marché peut les faire exécuter aux frais et risques de l'entrepreneur. "

6. S'il résulte des termes du dernier alinéa de l'article 41.6 du CCAG précité que le maître d'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire, il n'en résulte pas qu'il devrait le faire avant l'établissement du décompte général.

7. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Toutes les conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Lorsque des réserves ont été émises lors de la réception et n'ont pas été levées, il appartient au maître d'ouvrage d'en faire état au sein de ce décompte. À défaut, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation des sommes correspondant à ces réserves. Les réserves ainsi mentionnées dans le décompte peuvent être chiffrées ou non.

8. Lorsque les réserves sont mentionnées dans le décompte sans être chiffrées, celui-ci ne devient définitif que sur les éléments n'ayant pas fait l'objet de réserves. Lorsque le maître d'ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte et que ce montant n'a fait l'objet d'aucune réclamation de la part du titulaire, le décompte devient définitif dans sa totalité, les sommes correspondant à ces réserves pouvant être déduites du solde du marché au titre des sommes dues au titulaire au cas où celui-ci n'aurait pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves.

9. En l'espèce, d'une part, il résulte de l'instruction que, conformément aux stipulations citées au point 5. du cahier des clauses administratives particulières du marché, le maître de l'ouvrage a renoncé à ordonner la réfection des derniers ouvrages qu'il avait estimés défectueux et a proposé aux entrepreneurs, par courrier du 5 mai 2017, une réfaction sur le prix du marché d'un montant total de - 102 310,62 euros hors taxes. La seule circonstance que les sociétés requérantes n'aient pas accepté cette réfaction ne faisait pas obstacle à ce que l'Agence publique pour l'immobilier de la justice établisse le décompte général et déduise, comme elle l'a fait, du solde du marché une réfaction de - 102 310,62 euros hors taxes correspondant aux dernières réserves non levées.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction que, après avoir en vain déposé le projet de décompte final du groupement cocontractant au maître d'ouvrage par un courrier daté du 17 novembre 2016 remis en main propre le 21 novembre 2016, la SARL SIMP l'a mis en demeure d'établir le décompte général du marché par un courrier du 29 juillet 2019. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice a alors établi le 11 septembre 2019 le décompte général du marché, lequel a été signé par M. B D, directeur adjoint à la directrice générale de l'établissement. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, ce dernier disposait d'une délégation régulièrement consentie à cet effet, selon deux décisions n° 2018-260 du 25 octobre 2018 et n° 2019-326 du 1er septembre 2019, par Mme E C, directrice générale de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, qui constitue l'autorité responsable du marché désignée par l'article 15 cité précédemment du décret du 22 février 2006. Le décompte général a été notifié par le maître de l'ouvrage à la SARL SIMP, mandataire du groupement d'entreprises cocontractant, par une lettre recommandée avec avis de réception, ainsi que le permettent les stipulations citées précédemment de l'article 13.42 du CCAG Travaux, laquelle lettre était datée du 11 septembre 2019 et a été effectivement réceptionnée le 13 septembre 2019. Cette notification a déclenché le délai de réclamation de 45 jours prévu à l'article 13.44. cité précédemment du cahier des clauses administratives générales. Ce délai, conformément aux modalités de computations définies à l'article 5 du même cahier des clauses administratives générales, a ainsi commencé à courir le 14 septembre 2019 et a expiré le 28 octobre 2019 à minuit. Au cours de ce délai, la SARL SIMP a rédigé deux courriers de réclamation datés du 22 octobre 2019, l'un concernant sa situation et l'autre concernant la situation des trois sociétés cotraitantes, qu'elle a confiés à une société spécialisée dans la livraison expresse de colis le 24 octobre 2019. Toutefois, il est constant que la SARL SIMP s'est méprise dans les coordonnées du destinataire de l'envoi et a renseigné l'ancienne adresse de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice située à Paris alors que celle-ci avait transféré son siège au Kremlin-Bicêtre depuis le 17 décembre 2018. Il résulte de plus du bordereau de livraison que le colis n'a pas été effectivement livré à l'adresse de destination référencée, mais a seulement été déposé dans un point relais situé à proximité de l'ancien siège de l'établissement. Dans ces conditions, alors que l'Agence publique pour l'immobilier de la justice avait adressé à la SARL SIMP dès le 19 novembre 2018 un courrier l'informant de son changement de siège prochain et que les courriers que le maître de l'ouvrage a ultérieurement adressés à la société mentionnaient en bas de page l'adresse du nouveau siège de l'établissement, et en dépit de l'affirmation des sociétés requérantes selon laquelle, d'après une recherche par l'intermédiaire du navigateur " Google ", l'ancienne adresse de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice a été mentionnée jusqu'au 8 novembre 2019 sur " internet ", les réclamations des sociétés requérantes ne peuvent être regardées comme ayant été régulièrement adressées au maître de l'ouvrage à la suite de l'envoi du 24 octobre 2019. Si la SARL SIMP, après avoir constaté que le colis n'avait pas été retiré et pris l'attache des services de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, a procédé à un nouvel envoi des deux réclamations datées du 22 octobre 2019 par le biais d'un coursier, lesquelles ont été effectivement reçues par le maître de l'ouvrage le 8 décembre 2019, le délai de réclamation de 45 jours prévu à l'article 13.44. du cahier des clauses administratives générales était toutefois expiré à cette date. Il suit de là que, compte-tenu de l'expiration de ce délai de réclamation, la société était réputée avoir accepté le décompte, qui est devenu le décompte général et définitif du marché, y compris en ce qui concerne la réfaction correspondant aux dernières réserves non levées qui était mentionnée et chiffrée dans le décompte ainsi qu'il a été dit précédemment au point 9. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice est dès lors fondée à soutenir que la demande des sociétés requérantes, qui tend au paiement des prestations et indemnités supplémentaires ne figurant pas dans le décompte, est irrecevable. La fin de non-recevoir contractuelle ainsi opposée doit, par suite, être accueillie.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'expertise sollicitée, que la requête présentée par la SAS Sogea Martinique, la société AA'E, la société ITC et la société CSI doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant au bénéfice des intérêts moratoires.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre solidairement à la charge de la SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Agence publique pour l'immobilier de la justice et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI est rejetée.

Article 2 : La SAS Sogea Martinique, la SAS AIA Studio Environnement, la SARL ITC et la SAS CSI verseront solidairement à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à a SAS Sogea Martinique, première dénommée, pour l'ensemble des sociétés requérante, et à l'Agence pour l'immobilier de la justice.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Rouland-Boyer, présidente,

- M. de Palmaert, premier conseiller,

- M. Phulpin, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2022.

Le rapporteur,

V. A

La présidente,

H. Rouland-BoyerLe greffier,

J-H. Minin

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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