TA Dijon, 10/02/2023, n°2203341
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 décembre 2022 et 6 janvier 2023, la SAS Traforex demande au juge des référés :
1°) à titre principal, d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure, lancée par SNCF Réseau, de passation des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon de l'accord cadre à bons de commande ayant pour objet la "maîtrise de la végétation renouvellement Sud-Est Méditerranée" ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner à SNCF Réseau, sur le fondement des articles L. 551-5 à L. 551-7 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision d'attribution des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon, de déclarer les offres du groupement représenté par la société Bel environnement et du groupement représenté par la société Azur Environnement anormalement basses et, enfin, de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Traforex soutient qu'en n'écartant pas comme anormalement basses les offres des attributaires des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon, en violation des articles L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique, SNCF Réseau a commis des manquements aux principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Par un mémoire en défense, enregistré 6 janvier 2023, SNCF Réseau, représenté par la SELARL d'avocats Symchowicz-Weisseberg et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Traforex une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
SNCF Réseau soutient que :
- les conclusions présentées par la SAS Traforex sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative sont irrecevables dès lors que SNCF Réseau n'est pas un pouvoir adjudicateur ;
- les moyens invoqués par la SAS Traforex ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal administratif a désigné M. A en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 9 janvier 2023 en présence de Mme Lelong, greffière, M. A a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Dandon pour la SAS Traforex,
- et de Me Keravel pour SNCF Réseau.
Au vu des débats, les parties ont été informées, au cours de l'audience, que la clôture de l'instruction était différée au 13 janvier 2023 à 18 heures.
Au vu des mêmes débats, le juge des référés a demandé aux parties de lui transmettre tout élément de nature à justifier le niveau des prix proposés par les candidats et, en particulier les bordereaux de prix unitaires, en précisant que les éléments protégés par le secret des affaires pourront être transmis dans une version confidentielle soustraite du contradictoire.
Le 11 février 2023, SNCF Réseau a produit un mémoire qui a été communiqué ainsi que des documents, listés dans ce mémoire, dans une version confidentielle soustraite du contradictoire.
Le 13 février 2023, la société Traforex a produit un mémoire qui a été communiqué ainsi que des documents, listés dans ce mémoire, dans une version confidentielle soustraite du contradictoire.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 avril 2022, SNCF Réseau a lancé une procédure négociée avec mise en concurrence préalable en vue de la passation d'un accord cadre à bons de commande, décomposés en 54 lots géographiques, ayant pour objet la " maîtrise de la végétation renouvellement Sud-Est Méditerranée ". La SAS Traforex a notamment présenté sa candidature pour l'attribution des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon de cet accord cadre. Le 15 décembre 2022, SNCF Réseau a informé la SAS Traforex que ses offres étaient rejetées et que les lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon étaient respectivement attribués à un groupement ayant pour mandataire la société Bel Environnement (ci-après le groupement " Bel environnement ") et à un groupement ayant pour mandataire la société Azur Environnement (ci-après le groupement " Azur environnement "). La SAS Traforex demande au juge des référés de mettre en œuvre les pouvoirs dont il dispose en application des articles L. 551-1 à L. 551-7 du code de justice administrative.
Sur l'office du juge :
2. D'une part, le juge des référés, au regard des moyens soulevés et des débats à l'audience, a décidé, dans le cadre de son pouvoir d'instruction et selon une procédure, adaptée à l'urgence, inspirée de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, de demander aux parties présentes à l'audience, qui se sont conformées à cette demande, tout élément de nature à justifier le niveau des prix proposés par les candidats.
3. La motivation faite aux points 10 à 14 de la présente ordonnance a nécessairement été adaptée pour tenir compte des éléments, couverts par le secret des affaires, remis par les parties.
Sur les conclusions présentées, à titre principal, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative :
4. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".
5. SNCF Réseau, qui a agi non pas en qualité de pouvoir adjudicateur mais en tant qu'entité adjudicatrice, est fondé à soutenir que les conclusions présentées par la SAS Traforex sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative sont irrecevables et doivent être rejetées pour ce motif.
Sur les conclusions présentées, à titre subsidiaire, sur le fondement des articles L. 551-5 à L. 551-7 du code de justice administrative :
6. Aux termes de l'article L. 551-5 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () ". Aux termes de l'article L. 551-6 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat. () Il peut, en outre, prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais impartis () ". Aux termes de l'article L. 551-7 de ce code : " Le juge peut toutefois, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, écarter les mesures énoncées au premier alinéa de l'article L. 551-6 lorsque leurs conséquences négatives pourraient l'emporter sur leurs avantages ".
7. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette () ". L'article R. 2152-3 de ce code prévoit que : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire ". Enfin, l'article R. 2152-4 de ce code prévoit que : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; / 2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient en matière de droit de l'environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables () ".
8. D'une part, le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Ainsi, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient alors au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.
9. D'autre part, l'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une seulement des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l'objet d'un mode de rémunération différent ou d'une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie en effet au regard de son prix global.
10. L'article 7 du règlement de consultation a prévu trois critères pour le jugement des offres des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon. Le critère A, pondéré à 70%, est le " prix de l'offre " apprécié en comparant le montant total du marché proposé par les candidats indiqué dans un document intitulé " bordereau de prix travaux de maîtrise de la végétation sans prestation d'annonce manuelle " où figure, de manière préremplie, la quantité annuelle de chaque prestation et sur lequel les candidats doivent reporter, pour chaque prestation, le prix unitaire proposé, le produit de ce prix et de la quantité de chaque prestation et, enfin, la somme de l'ensemble des produits ainsi calculés sur la durée du marché et il résulte de l'instruction, et en particulier des documents produits par SNCF Réseau dans leur version confidentielle, que la note attribuée sur ce critère A a été calculée selon la formule classique suivante : (prix de l'offre minimale / prix de l'offre analysée) x 20. Le critère B, pondéré à 10%, correspond pour sa part à l'" ensemble des critères techniques " tandis que le critère C, pondéré à 20%, est relatif à l'ensemble des critères RSE / sécurité ".
11. En premier lieu, il résulte de l'analyse comparative des bordereaux de prix produits par l'ensemble des candidats ayant présenté une offre pour les lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon que les prix unitaires proposés pour chaque prestation sont, pour l'ensemble des rubriques, assez hétérogènes, pouvant souvent varier du simple au double voire du simple au triple.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'analyse comparative des bordereaux de prix produits par les candidats attributaires des lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon et de la SAS Traforex que cette dernière, sur les 29 prestations figurant dans le bordereau propre à chaque lot, a proposé un prix unitaire inférieur à celui de l'attributaire à huit reprises pour le lot LGV7-Laroche et à cinq reprises pour le lot LGV8-Avallon.
13. En dernier lieu, il résulte de l'analyse comparative des bordereaux de prix produits par l'ensemble des candidats ayant présenté une offre pour les lots LGV7-Laroche et LGV8-Avallon que, pour ce qui concerne les prestations les plus représentatives des lots - celles dont les quantités sont les plus élevées-, et en particulier les prestations PB11, PB21, PB22, PB23, PB24, PV1 et PV2, PB25.4 et PB25.5 pour le lot LGV7-Laroche et les prestations PB11, PB21, PB22, PB23, PB24, PV1, PV2 et PB42 pour le lot LGV8-Avallon, il n'a pas été constaté entre les différents candidats, à l'exception du PB25.5 pour le lot LGV7-Laroche, des écarts de prix sur chaque prestation et, de manière globale, sur l'ensemble des prestations, d'une importance telle que SNCF Réseau aurait dû mettre en œuvre la procédure définie à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique.
14. Il est vrai que le PB 25.5 proposé par le groupement " Bel Environnement " pour le lot LGV7-Laroche ne paraît pas économiquement réaliste dès lors que, d'une part, il est divisé par 5 par rapport à celui qu'il propose par ailleurs pour le lot LGV8-Avallon et que, d'autre part, il est très nettement inférieur au prix le plus bas proposé par les autres candidats sur ce poste. Toutefois, compte tenu de l'ensemble de l'analyse conduite sur les prix et de ce qui a été dit au point 9, il n'apparait pas que SNCF Réseau, en ne mettant pas en œuvre la procédure définie à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique et en n'écartant pas les offres des groupements " Bel Environnement " et " Azur Environnement " comme anormalement basses, aurait en l'espèce commis des manquements aux principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la SAS Traforex sur le fondement des articles L. 551-5 à L. 551-7 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de SNCF Réseau, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société requérante au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Traforex la somme de 10 000 euros que demande SNCF Réseau au titre de ces mêmes frais.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la SAS Traforex est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Traforex, à SNCF Réseau, à la SARL MCSV, à la SAS Chapey paysagiste, à la SARL Azur environnement, à la SASU Hydro Green et à la SASU Bel environnement.
Fait à Dijon le 10 février 2023.
Le juge des référés,
L. A
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier
N°2203341