CAA Nantes, 14/10/2022, n°21NT02510
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Colas Centre-Ouest a demandé au tribunal administratif de Rennes d'arrêter le décompte général et définitif du marché conclu avec la commune de Ploubezre à la somme totale de 120 139,70 euros hors taxe (HT) et de condamner la commune à lui payer le solde lui restant dû, soit la somme de 77 167 euros HT, assortie des intérêts au taux légal.
Par un jugement n° 1801069 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Rennes a fixé le montant du solde du lot n°1 et du marché complémentaire, conclus entre la commune de Ploubezre et la société Colas Centre-Ouest, à 65 570,70 euros toutes taxes comprises (TTC), et le solde du lot n°2, conclu entre les mêmes parties, à 0 euros, a condamné la commune de Ploubezre à verser à la société Colas Centre-Ouest la somme de 12 179,70 euros TTC au titre du solde du lot n°1 et du marché complémentaire, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2018, et a rejeté le surplus des conclusions de la société.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 septembre 2021 et le 20 juin 2022, la SAS Colas France, venant aux droits de la société Colas Centre-Ouest, représentée par Me Bochereau, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 8 juillet 2021 en tant qu'il a limité le montant de la somme mise à la charge de la commune de Ploubezre au montant de 12 179,70 euros TTC et a rejeté le surplus de la demande ;
2°) à titre principal, de condamner la commune de Ploubezre à lui verser le montant du solde lui restant dû au titre des travaux effectués, arrêté à la somme de 70 200 euros TTC au titre du lot n°1, y compris son avenant n°1, et à la somme de 11 483,44 euros TTC au titre du marché complémentaire, assorti des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2018 ;
3°) à titre subsidiaire, de fixer le montant du décompte général et définitif à la somme de 92 616 euros TTC pour le lot n°1, y compris son avenant n°1, et à la somme de 15 421,64 euros TTC pour le marché complémentaire, et de condamner la commune de Ploubezre à lui verser la somme de 47 046 euros TTC au titre du lot n°1, y compris son avenant n°1, et la somme de 7 627,91 euros TTC au titre du marché complémentaire, assorties des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2018 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Ploubezre une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les travaux réalisés entre le 24 et le 28 octobre 2016 ont été réalisés dans les règles de l'art et sont conformes à leur destination dès lors qu'ils ont été réceptionnés par la commune de Ploubezre sans notification de désordres dans le cadre du délai de garantie de parfait achèvement ni dans le délai décennal encore en cours et que les ouvrages réalisés sont exploités depuis leur achèvement ; la réserve de la commune à la réception des travaux n'est en conséquence pas justifiée ;
- à titre subsidiaire, à supposer que les travaux réalisés entre le 24 et le 28 octobre 2016 ne soient pas conformes à leur destination, une réfaction de 20% et non de 100% du montant du solde pourrait être retenue ;
- à titre infiniment subsidiaire, il relevait de la responsabilité des services techniques de la commune, maître d'œuvre, de valider les formules de composition des enrobés avant le commencement des travaux, en application de l'article 3.1.1 du CCTP ; il y a lieu en conséquence de partager la responsabilité entre la société Colas Centre-Ouest et la commune, ce qui justifie un paiement de 80% du solde du marché de travaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2022, la commune de Ploubezre, représentée par Me Santos Pires, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Colas France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la SAS Colas France ne sont pas fondés ;
- la réception des travaux a été assortie d'une réserve concernant le revêtement des voiries, ce qui implique qu'ils ont été jugés imparfaits et il n'y avait pas lieu de mettre en œuvre la garantie de parfait achèvement ou la garantie décennale ;
- la conformité des ouvrages à leur destination n'implique pas leur conformité aux règles de l'art ;
- la société a reconnu par courrier du 7 mars 2018 l'existence de désordres en proposant de procéder à des reprises et consentant à une réduction de 5% sur le montant des factures ;
- la retenue pratiquée sur le décompte général et définitif entre dans le champ d'application de l'article 41.6 du CCAG travaux et ne constitue pas une réception avec réfaction.
Par ordonnance du 31 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 21 juin 2022.
La commune de Ploubezre a produit postérieurement à cette clôture un mémoire, enregistré le 29 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n°76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Bochereau, représentant la SAS Colas France, et de Me Laville-Colomb, représentant la commune de Ploubezre.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Ploubezre a confié, par acte d'engagement du 6 juillet 2016, à la société Colas Centre-Ouest, un lot n°1 " enrobés " ainsi qu'un lot n°2 " enduits " pour des montants prévisionnels respectifs de 109 170 euros toutes taxes comprises (TTC) et 9 120 euros TTC dans le cadre d'un marché public de travaux. Par un avenant n°1 du 10 octobre 2016, le montant du lot n°1 a été porté à la somme de 115 770 euros TTC. Le 25 octobre 2016, un marché complémentaire a été signé entre les parties, pour un montant prévisionnel de 19 277,64 euros TTC. Les travaux ont été réalisés du 24 octobre au 3 novembre 2016. La commune, doutant de la qualité des enrobés réalisés, a fait appel à l'expertise du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) pour évaluer la composition des enrobés et les caractéristiques des granulats. La réception des travaux a ensuite été prononcée le 24 janvier 2017 avec une réserve relative à la composition des enrobés. Les 22 mai et 10 juillet 2017, la société Colas Centre-Ouest a demandé à la commune une somme totale de 144 167,64 euros TTC en paiement du solde du marché. Le 19 juillet 2017, la commune a payé partiellement la somme sollicitée en raison de l'absence de levée des réserves. Après rejet de sa réclamation par courrier du 13 octobre 2017 par la commune de Ploubezre, la société Colas Centre-Ouest a demandé au tribunal administratif de Rennes d'arrêter le décompte général et définitif du marché à la somme totale de 120 139,70 euros HT et de condamner la commune à lui payer le montant lui restant dû, soit la somme de 77 167 euros HT, assortie des intérêts au taux légal au titre du solde du marché. La société par actions simplifiée (SAS) Colas France, venant aux droits de la société Colas Centre-Ouest, relève appel du jugement du 8 juillet 2021 en tant que le tribunal, en réduisant le paiement du solde du marché aux travaux réalisés les 2 et 3 novembre 2016, a limité la condamnation de la commune au versement de la somme de 12 179,70 euros TTC au titre du lot n°1, y compris son avenant n°1, et du marché complémentaire, et a rejeté le surplus de sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 41.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux approuvé par le décret du 21 janvier 1976 (CCAG Travaux) : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. Sauf le cas prévu à l'article 41. 1. 3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire / () ". Selon l'article 41.6 du même document contractuel : " Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44. 1. Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse ".
3. Il est constant que la commune de Ploubezre a assorti sa décision, prenant effet le 24 janvier 2017, de réception des travaux réalisés par la société Colas Centre-Ouest pour le chantier d'enrobés à l'émulsion d'une réserve concernant la non-conformité des échantillons, analysés par rapport aux engagements fixés par l'avis technique de l'IDRRIM n°153, qu'il s'agisse de la composition des enrobés ou des granulats les constituant. La société Colas Centre-Ouest a alors soumis différentes propositions amiables à la commune, notamment lors d'une réunion du 3 avril 2017, dont aucune ne s'est concrétisée.
4. Il n'est plus contesté en appel que le courrier du 19 juillet 2017 de la commune de Ploubezre, en raison de son contenu, doit être regardé comme le décompte général prévu par les stipulations de l'article 13.3.4 du CCAG Travaux et que la société Colas Centre-Ouest a contesté ce décompte par réclamation du 17 août 2017. Par ce courrier, la commune relève également que bien qu'elle ait pris connaissance du projet de la société Colas Centre-Ouest " de refaire la couche de surface ", aucune intervention en ce sens n'a été réalisée. Elle prend également acte de la proposition de la société d'attendre quelques mois, puis finalement une année, pour voir l'évolution de l'enrobé mis en œuvre et en tirer les conséquences et en déduit qu'elle ne peut procéder à un quelconque règlement avant consensus. Par courrier du 13 octobre 2017, la commune a réitéré sa demande tendant à ce que soit assurée par la société la levée des réserves conformément aux stipulations techniques du marché, ou à ce que soit validé avec l'accord de ses services une solution réparatoire différente, en précisant que les travaux de réfection doivent être réalisés aux frais et risques de la société conformément aux articles 9-2 du CCAP et 41.6 du CCAG, leur coût ayant vocation à être définitivement imputé sur le solde du marché.
5. Pour obtenir le paiement du solde du lot n°1, y compris son avenant, d'un montant de 58 200 euros HT ainsi que du marché complémentaire pour un montant de 9 547,20 euros HT, la SAS Colas France soutient, en premier lieu, que les travaux effectués par ses soins étaient conformes aux règles de l'art, contrairement à ce qu'affirme la commune de Ploubezre. Toutefois, il ressort d'un rapport du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) du 7 février 2017, missionné par la commune de Ploubezre, et portant sur l'évaluation de la composition des enrobés et des caractéristiques des granulats, qu'en ce qui concerne les sections d'enrobés réalisées entre le 24 octobre 2016 et le 28 octobre 2016 qui sont en litige, d'une part, le module de richesse du produit de référence se situe juste en dessous de la limite inférieure des engagements fixés par l'avis technique IDDRIM n°153 de mars 2010, ce qui peut expliquer " le départ prématuré au jeune âge de gravillons " constaté, d'autre part, les teneurs en fines sont excédentaires et ces écarts sont d'autant plus pénalisants que les teneurs en bitume sont faibles. Il ressort également du rapport du CEREMA que le coefficient de friabilité du sable mis en œuvre (48 %) avant la modification de la formule de fabrication excède le seuil maximal (45 %) fixé par la norme NF P 18-545, laquelle figure parmi les normes auxquelles renvoie l'article 3.1.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP).
6. Le tribunal administratif a pu régulièrement se fonder sur le rapport du CEREMA, bien qu'il ait été établi de manière non contradictoire, dès lors qu'il est corroboré par les autres éléments du dossier et qu'il a été soumis par ailleurs, notamment au cours de la procédure contentieuse, à un débat contradictoire. La société Colas Centre-ouest a d'ailleurs pu, avant même d'introduire sa demande devant le tribunal, discuter utilement ce rapport puisque la commune le lui a adressé par courrier du 17 février 2017 et a organisé une réunion sur ce sujet. En outre, la SAS Colas France ne conteste pas sérieusement ces constatations dès lors que les feuilles de suivi de chantier et de contrôle de fabrication d'enrobés du 11 octobre 2016 qu'elle produit portent sur un chantier réalisé sur une autre commune que celle de Ploubezre et que les autres feuilles produites ne concernent pas la période en litige. Par ailleurs, les circonstances que les travaux ont été réceptionnés et que les ouvrages soient en exploitation sont sans incidence sur le fait que la réserve n'a pas été levée par la collectivité maître d'ouvrage. Au demeurant, la commune de Ploubezre fait valoir, sans être contredite, que la société Colas Centre-Ouest a reconnu, lors de la réunion du 3 avril 2017, un problème de formulation dans l'enrobé mis en œuvre avant le 2 novembre 2016. Il est constant que la société Colas Centre-Ouest a, en conséquence, modifié la formulation de l'enrobé pour les deux derniers jours de travaux.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la commune de Ploubezre n'a pas renoncé à ordonner la réfection des ouvrages estimés défectueux et ne peut donc pas être regardée comme ayant proposé une réfaction de 100% sur les prix au sens et pour l'application de l'article 41.7 du CCAG Travaux. Dans ces conditions, la SAS Colas France n'est pas fondée à demander, à titre subsidiaire, une modulation du montant de la réfaction qui aurait été opérée par la commune.
8. En dernier lieu, si l'article 3.1.1 du CCTP prévoit que " L'acceptation des formules constitue un point d'arrêt qui est levé par le maître d'œuvre avant le commencement des travaux ", son premier alinéa stipule que " La composition et les caractéristiques des enrobés sont fournis par l'entrepreneur soit à l'appui de son offre () soit au plus tard avant le démarrage des travaux d'enrobé ". Or la SAS Colas France ne justifie pas que l'entreprise aurait transmis de telles formules à la commune, ni, au demeurant, que ce sont bien ces formules de composition des enrobés qui ont été mises en œuvre pour la période du 24 octobre 2016 au 28 octobre 2016. Dès lors, le moyen tiré de ce que la responsabilité de la commune serait également engagée en raison d'une faute commise en sa qualité de maître d'œuvre des travaux, en approuvant la formule initiale non conforme des enrobés, doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Colas France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a limité à 12 179,70 euros TTC la somme mise à la charge de la commune de Ploubezre et rejeté le surplus de la demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Ploubezre qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Colas France la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Ploubezre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Colas France est rejetée.
Article 2 : La SAS Colas France versera à la commune de Ploubezre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Colas France et à la commune de Ploubezre.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2022.
Le rapporteur,
L. A
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.