TA de Paris, 30/07/2022, n°2215101

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 et 26 juillet 2022, la société Akila Ingénierie doit être regardée comme demandant au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation du lot n° 1 lancée par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour des " missions de diagnostics et de calculs de structures " ;
2°) d'enjoindre à l'AP-HP de lui communiquer le détail quantitatif estimatif établi dans le cadre de la passation de ce lot n°1.
La société Akila Ingénierie soutient que :

  • le pouvoir adjudicateur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que les documents de la consultation n'indiquaient pas qu'elle aurait recours à l'application d'un détail quantitatif et estimatif non communiqué aux candidats afin d'évaluer le montant des offres financières de ces derniers ; n'ayant pas été communiquée, l'évaluation des offres a été faite de manière erronée et les soumissionnaires ne peuvent vérifier les calculs effectués par l'AP-HP ;
  • le prix de l'offre de l'attributaire qui a été retenu correspond à la moitié de l'offre financière de la société Akila Ingénierie, de sorte que l'offre retenue est anormalement basse ; la décomposition du prix de la société attributaire ne respecte pas les recommandations de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail concernant le nombre d'intervenants pour certains travaux en hauteur, rendant l'offre irrégulière ;
  • elle aurait dû obtenir une meilleure note que celle de 0/60 attribuée par le pouvoir adjudicateur sur le critère du prix, dès lors que les prix qu'elle a proposés dans son offre étaient proches de ceux de l'offre de la société attributaire du lot.
    Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2022, l'AP-HP conclut au rejet de la requête.
    Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative.
    Le président du tribunal a désigné M. A en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique, en présence de Mme Szymanski, greffière :
  • le rapport de M. Laloye, juge des référés ;
  • les observations de M. Hyvernat, président de la société Akila Ingénierie ;
  • les observations de Mme C, représentant l'AP-HP ;
  • les observations de M. B, représentant la société Geotec.
    La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au bulletin officiel d'annonces des marchés publics le 23 février 2022 et au journal officiel de l'Union européenne le 25 février 2020, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a engagé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché public portant sur des missions de diagnostics et de calculs de structures et des missions de géotechniques de reconnaissance et de diagnostic pollution de sols pour le compte des différents sites de l'AP-HP. La consultation prévoyait deux lots correspondant chacun aux deux missions du marché public de services. La société Akila Ingénierie a présenté une offre pour le lot n° 1, relatif aux missions de diagnostics et de calculs de structures. Par un courrier reçu le 5 juillet 2022, la société Akila Ingénierie a été informée du rejet de son offre. Par la présente requête, la société Akila Ingénierie demande l'annulation de la procédure de passation concernant l'attribution du lot n°1 du marché public en cause.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la procédure de publicité et de mise en concurrence :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. ()". Et selon l'article L. 2152-8 du même code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". L'article R. 2152-11 du même code dispose : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".

4. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à  priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publiques, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, de telles méthodes de notation. En effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une "simulation" consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d'interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n'a pas recours à un sous-critère mais à une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix. Le pouvoir adjudicateur ne manque pas non plus à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l'ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l'objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n'ait pas pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation.

5. Il résulte de l'instruction que les points 1.3 et 3.3 du règlement de la consultation exigeaient des soumissionnaires qu'ils proposent un prix unitaire pour l'ensemble des prestations définies par le cahier des charges et qu'ils remettent le bordereau des prix unitaires qui était joint au dossier de consultation. Pour l'analyse des offres, l'AP-HP a eu recours à une simulation consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les quantités estimées et déterminées aux vues des marchés antérieurs passés concernant des prestations similaires, s'analysant ainsi comme une méthode de notation. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la mise en œuvre d'une telle simulation ne peut être regardée comme conduisant à un classement arbitraire des offres dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la simulation en cause ne correspondrait pas à l'objet du marché, que le choix du contenu de cette simulation aurait pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat ne pourrait pas être reconstitué en recourant à la même simulation. Enfin, la circonstance que cette méthode de notation puisse donner lieu à des erreurs de calcul, ce qui n'est au demeurant pas démontré par la société requérante, est sans incidence sur le caractère régulier de la méthode de notation défini par le pouvoir adjudicateur. Par suite, la société Akila Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que l'AP-HP devait informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu'elle aurait recours à une telle méthode de notation ni que cette dernière serait irrégulière.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Et aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre () ". Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge des référés précontractuels, saisi d'un moyen en ce sens et dans le cadre du contrôle restreint qu'il exerce, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que l'offre de la société Geotec s'élève à 522 035 euros soit à un prix inférieur de 206 605 euros à l'estimation du coût du marché, réalisée en interne par l'AP-HP, au vu des coûts d'un marché antérieur comportant des prestations similaires. Estimant que cette offre pourrait revêtir un caractère anormalement bas, l'AP-HP a fait usage des dispositions de l'article L. 21526 du code de la commande publique et demandé à la société Geotec de lui transmettre toutes les précisions et justifications concernant la teneur de son offre et en particulier de justifier des prix unitaires proposés. Au regard des précisions apportées en réponse par cette société le 3 mai 2022, il ne résulte pas de l'instruction que le prix de l'offre aurait été manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

8. D'autre part, si la société requérante soutient que le détail estimatif des prix de la société attributaire du lot fait apparaître que cette dernière méconnaîtrait les recommandations de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail concernant le nombre d'intervenants pour des travaux en hauteur, ce qui aurait un effet sur les prix proposés dans son offre, elle n'assortit cet argument d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. En dernier lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

10. Il résulte de l'instruction que la société Akila Ingénierie a obtenu une note de 0/60 pour le critère du prix. Si la société requérante soutient que son offre comportait des prix proches de ceux de la société attributaire du marché, de sorte qu'elle aurait dû obtenir une meilleure note sur ce critère, une telle argumentation est inopérante devant le juge du référé précontractuel dont l'office n'est pas, ainsi que cela ressort des principes mentionnés au point précédent, d'apprécier les mérites respectifs des offres remises au pouvoir adjudicateur.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Akila Ingénierie tendant à l'annulation de la procédure menée pour le lot n°1 de la consultation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. La société Akila Ingénierie demande au juge des référés d'enjoindre à l'AP-HP de communiquer le détail quantitatif estimatif établi dans le cadre du lot n°1. Or, la société requérante n'a pas saisi l'AP-HP d'une telle demande qui, en cas de refus, aurait dû, en tout état de cause, donner lieu à une demande d'avis sur la communication dudit document auprès de la commission administrative des documents administratifs en application de l'article L. 342-1 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, de telles conclusions à fin d'injonction sont irrecevables et doivent être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Akila Ingénierie est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Akila Ingénierie, à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à la société Geotec.
Fait à Paris, le 28 juillet 2022.
Le juge des référés,
P. A

La République mande et ordonne au ministre de la Santé et de la Prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2215101

A lire également