CAA Toulouse, 20/12/2022, n°20TL04429
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Arcadi Pla a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier à lui verser la somme de 128 782,59 euros assortie des intérêts moratoires au titre de la retenue de garantie dans le cadre du marché de travaux publics relatifs à la construction de la résidence "La Chistera" au sein de la zone d'aménagement concerté "Ovalie", lot 4C à Montpellier.
Par un jugement n° 1805663 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier à verser à la société Arcadi Pla la somme de 128 782,59 euros en restitution de la retenue de garantie dans le cadre de ce marché de travaux publics, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2016 et de leur capitalisation. Il a également rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant à l'engagement de la responsabilité décennale de la société Arcadi Pla.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2020 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier, représenté par Me Moreau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 octobre 2020 ;
2°) de condamner la société Arcadi Pla à lui verser la somme de 128 782,59 euros au titre des désordres décennaux résultant du défaut d'évacuation de l'eau pluviale sur les balcons et terrasses ;
3°) de mettre à la charge de la société Arcadi Pla une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le délai de garantie de parfait achèvement d'une année a été prolongé par sa mise en demeure du 2 août 2016 ;
- la responsabilité décennale de la société Arcadi Pla doit être engagée dès lors que la mauvaise exécution des pissettes crée un obstacle à l'évacuation gravitaire des eaux pluviales portant atteinte à la solidité de l'immeuble et le rend impropre à sa destination ;
- les désordres sont imputables à la société Arcadi Pla qui était tenue de réaliser les pissettes, ainsi que le confirme le plan béton établi par le maître d'œuvre, joint à son marché pour lui permettre de réaliser son ouvrage, qui prévoit la réalisation de réservations d'eau pluviale d'un diamètre de 8 centimètres sur la dalle béton qui ne sont autres que des pissettes ; le lot étanchéité ne devait réaliser des pissettes que sur les terrasses étanchées et il appartenait à la société Arcadi Pla, titulaire du lot gros-œuvre, de les prévoir sur les balcons, loggias et terrasses non étanchées.
Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 12 et 21 janvier 2021, la société Arcadi Pla, représentée par la SCP Lévy Balzarini Sagnes Serres, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la confirmation de la condamnation de l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier à lui verser la somme de 128 782,59 euros assortie des intérêts moratoires et légaux ainsi que des intérêts capitalisés et à la réactualisation de ses montants ;
3°) à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'office public sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- du fait de la réception tardive du courrier de dénonciation des désordres, la demande de l'office public de reprise des pissettes était tardive ; l'office était forclos à demander la reprise des désordres au titre de la garantie de parfait achèvement ;
- l'expiration du délai de la garantie de parfait achèvement a eu pour effet de la dégager de ses obligations contractuelles et obligeait l'office public à libérer la rétention de garantie, qui est une sûreté au sens de l'article 44 du cahier des clauses administratives générales ;
- à la lecture du cahier des clauses techniques particulières, il lui incombait de réaliser, en ce qui concerne les balcons et le rez-de-chaussée, des caniveaux de balcons et la pose de caillebotis ; la demande de reprise des pissettes reçue le 4 août 2016 ne relève pas des travaux afférents à son lot gros œuvre ; il ressort du cahier des clauses techniques particulières que les pissettes d'évacuation de l'eau pluviale des balcons, loggias et terrasses étanchés relèvent des prestations du lot étanchéité et toiture ;
- la retenue de garantie qui devait être versée à la société Gedesco ne l'ayant pas été dans les délais par le maître de l'ouvrage, elle a été contrainte de verser cette somme à cette société, qui le confirme ; la retenue de garantie doit dès lors lui être versée.
- les demandes reconventionnelles tendant à sa condamnation à lui verser la somme de 128 782,59 euros au titre des désordres décennaux formulées pour la première fois par le requérant en cause d'appel sont irrecevables ;
- ces demandes reconventionnelles doivent être rejetées au fond dès lors que les désordres ne sauraient être qualifiés de décennaux, qu'il n'est établi ni l'ampleur de ce désordre ni en quoi il emporterait l'impropriété de l'immeuble, ni le préjudice qui en découlerait ;
- la somme réclamée en réparation n'est pas justifiée.
Par une ordonnance du 22 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 6 octobre 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lalubie représentant l'office appelant.
Considérant ce qui suit :
1. Au cours de l'année 2013 l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier a lancé une opération de construction de la résidence "la Chistera" comprenant 64 logements au sein de la zone d'aménagement concerté "Ovalie", Lot 4 C, à Montpellier. Le 30 octobre 2013, la société Arcadi Pla s'est vu attribuer le lot n° 1 gros-œuvre/terrassement. Le 3 août 2015, le marché a été réceptionné sans réserves et au mois de juillet 2016 le décompte général était notifié à la société Arcadi Pla sans que celle-ci le conteste. Par un courrier du 2 août 2016, l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier a mis en demeure la société Arcadi Pla de reprendre les pissettes des logements n° 08, n° 12, n° 17, n° 32, n° 36, n° 37, n° 39, n° 40, n° 41, n° 45, n° 52 et n° 54 ainsi que toutes les autres pissettes des terrasses ayant été posées en trop plein. La société Arcadi Pla faisait savoir au maître d'ouvrage, par un courrier du 4 août 2016, qu'elle n'envisageait pas d'intervenir dans la mesure où les prestations demandées, qui ne relevaient pas de l'exécution de son lot, ne faisaient pas partie des travaux de reprise demandés. Puis, par deux courriers des 24 novembre 2016 et 4 janvier 2017, elle sollicitait la libération de la retenue de garantie. Par courrier du 13 mars 2017, l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier refusait de restituer la retenue de garantie au motif que le délai de garantie n'était pas expiré en raison de la mise en demeure du 2 août 2016. L'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier relève appel du jugement du 15 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à la société Arcadi Pla la somme de 128 782,59 euros en restitution de la retenue de garantie, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2016 et de leur capitalisation et a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant à l'engagement de la responsabilité décennale de la société Arcadi Pla.
Sur les conclusions aux fins de restitution de la retenue de garantie :
2. Aux termes de l'article 44 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en litige : "Garanties contractuelles / 44. 1. Délai de garantie : Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44. 2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41. 4, le titulaire est tenu à une obligation dite obligation de parfait achèvement, au titre de laquelle il doit : a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41. 5 et 41. 6 ; b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; () À l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. Les sûretés éventuellement constituées sont libérées dans les conditions réglementaires. ()".
3. La garantie de parfait achèvement, qui court à compter de la réception de l'ouvrage et ne pèse que sur les entrepreneurs ayant participé aux travaux, s'étend à la reprise, d'une part, des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception et, d'autre part, de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception. Il incombe au maître de l'ouvrage de rapporter la preuve qu'il a signalé à l'entrepreneur, dans le délai de la garantie de parfait achèvement, les désordres qui sont apparus postérieurement à la réception sans réserves de l'ouvrage.
4. Le délai d'un an fixé par l'article 44-1 précité du cahier des clauses administratives générales est un délai de prescription qui ne peut donc pas être prorogé même s'il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé.
5. La réception de l'ouvrage, dont il est constant qu'elle a été prononcée sans réserves le 3 août 2015, constitue le point de départ du délai d'un an de la garantie de parfait achèvement qui expirait le 3 août 2016 à minuit. Le 2 août 2016, l'office public appelant a mis en demeure la société Arcadi Pla de reprendre, dans le cadre de son obligation de parfait achèvement, les pissettes de plusieurs logements ainsi que toutes les autres pissettes des terrasses ayant été posées en trop plein. L'office soutient que la société Arcadi Pla ne justifie pas de la réception de cette mise en demeure à la date du 4 août 2016 correspondant à la date tamponnée sur cette lettre par la société Arcadi Pla. Toutefois, alors que la charge de la preuve de la date à laquelle les désordres ont été signalés pèse sur le maître de l'ouvrage, l'office public n'apporte aucun élément de nature à démontrer que les désordres ont été portés à la connaissance de la société Arcadi Pla dans le délai de la garantie de parfait achèvement, soit au plus tard le 3 août 2016 à minuit. Par suite, l'office public ne pouvait pas opposer la prolongation de la garantie de parfait achèvement à la société Arcadi Pla pour refuser de lui restituer la retenue de garantie d'un montant de 128 782, 59 euros.
Sur l'engagement de la responsabilité décennale de la société Arcadi Pla :
Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité décennale :
6. La responsabilité décennale d'un constructeur ne peut être engagée que si les désordres lui sont imputables en ce qu'ils ne sont pas sans lien avec l'objet de ses obligations contractuelles. L'entreprise titulaire d'un lot au titre duquel elle n'était pas chargée de réaliser les travaux à l'origine des désordres, ne peut voir sa responsabilité décennale engagée.
7. L'office public requérant soutient, d'une part, que la réalisation des pissettes de l'ensemble des balcons et des terrasses non étanchés à l'origine des désordres de l'immeuble relève du lot "gros-œuvre et terrassement" attribué à la société Arcadi Pla, comme le montre la plan béton établi par le maître d'œuvre, joint à son marché et, d'autre part, que l'attributaire du lot n° 2 étanchéité ne devait réaliser des pissettes que sur les terrasses étanchées.
8. Il résulte du cahier des clauses techniques particulières afférent à la construction de la résidence " La Chistera " comprenant 64 logements collectifs sur la zone d'aménagement concerté Ovalie à Montpellier que, d'une part, le lot n° 1 "gros œuvre" comprend, s'agissant des balcons, la réalisation de caniveaux de balcon et la pose de couverture en caillebotis et que d'autre part, la réalisation des pissettes d'évacuations des eaux pluviales pour les balcons, loggias et terrasses étanchés est une prestation à la charge du lot n° 2 étanchéité et toiture. En outre, il résulte de ce même cahier que les travaux à la charge de l'attributaire du lot n° 2 comprennent implicitement la fourniture, la pose et toutes les prestations pour réaliser tous les ouvrages annexes d'évacuation des eaux de pluie tels que moignons, garde-grèves, ou trop-pleins.
9. Si l'office public fait état de désordres provenant de la réalisation des pissettes de l'ensemble des balcons et des terrasses non étanchés de l'immeuble, il n'établit toutefois la réalité de ces désordres que pour deux appartements pour lesquels il produit un constat d'huissier du 3 avril 2018. Il résulte de ce constat que les désordres concernent les balcons de ces deux appartements sur lesquels les eaux pluviales stagnent et ne s'évacuent que très lentement et comportent deux tuyaux d'évacuation de type pissette. Dès lors que la réalisation de pissettes n'était prévue par le cahier des clauses techniques particulières que pour les balcons, loggias et terrasses étanchés, leur présence démontre que le désordre a son siège sur un balcon étanché dont l'étanchéité relevait de l'attributaire du lot n° 2. Par suite, la responsabilité décennale de la société Arcadi Pla, qui n'était pas chargée de réaliser les travaux à l'origine des désordres, ne peut, en tout état de cause, être engagée.
10. Il résulte de ce qui précède que l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à la société Arcadi Pla la somme de 128 782,59 euros en restitution de la retenue de garantie, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2016 et de leur capitalisation et a rejeté ses conclusions reconventionnelles.
Sur la demande de réactualisation des montants :
11. Cette demande qui n'est assortie d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ne peut qu'être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'office public présentées sur leur fondement, la société Arcadi Pla n'étant pas la partie perdante.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier une somme de 1 500 euros au titre des conclusions présentées sur le même fondement par la société Arcadi Pla.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier est rejetée.
Article 2 : L'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier versera à la société Arcadi Pla la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties ne peut qu'être rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'office public de l'habitat de la communauté d'agglomération de Montpellier et à la société anonyme Arcadi Pla.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2022.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.