Cour administrative d'appel de Douai, 22/août/2022, n°20DA01683

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Normandie a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement M. B A et la société ID+ Ingénierie à lui verser la somme de 66 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, de mettre à leur charge la somme de 11 361,82 euros au titre des frais et honoraires de l'expert ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Par un jugement n° 1801722 du 28 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné solidairement M. A et la société ID+ Ingénierie à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, ainsi que de leur capitalisation à compter du 17 mai 2019, puis à chaque échéance annuelle. Le tribunal a mis les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC définitivement à la charge in solidum de M. A et de la société ID+ Ingénierie et une somme de 1 500 euros à verser à la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Procédure devant la cour : 

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 octobre 2020 et 10 septembre 2021, la société ID+ Ingénierie, représentée par Me Nicolas Barrabé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner M. B A à la garantir à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre et de limiter l'indemnisation de la région à la somme de 13 200 euros ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de M. B A la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que :

- le jugement attaqué méconnaît le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un procès équitable dès lors qu'il s'appuie sur l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen réalisée sur pièces, sans qu'aucune constatation sur la matérialité des désordres n'ait été possible, et dont l'existence par la société n'a pu être vérifiée ; la région Normandie qui a fait procéder dans la précipitation au remplacement du parquet, rendant impossible cette constatation, n'a pas présenté sa demande d'expertise en temps utile et les parties n'ont pu débattre contradictoirement de la nature et de l'étendue des dommages ;

- la cause des dommages résulte d'une erreur d'exécution par la société ECK qui, en sa qualité de professionnel de la construction, ne pouvait ignorer les précautions nécessaires pour protéger le parquet en bois et, secondairement, d'une erreur de surveillance des travaux de cette entreprise par M. A ;

- M. A, qui selon la décomposition des honoraires de l'équipe de maîtrise d'œuvre figurant à l'avenant n° 1 du marché de maitrise d'œuvre, était rémunéré 70% pour la phase APS, 60% pour la phase APD et 84,57% pour la DET, est responsable des dommages et doit, en application de l'article 1382 du code civil, la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, à hauteur de 70% ;

- c'est à tort que le tribunal a entériné la demande de la région tendant au versement de la somme de 66 000 euros correspondant au remplacement total de la surface du parquet ainsi que préconisé par l'expert judiciaire qui n'a pourtant pas été en mesure de se prononcer sur l'étendue des dommages, et alors qu'une réparation partielle sur 20% de la surface tel qu'envisagé dans le cadre des expertises d'assurances aurait pu suffire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juillet et 3 décembre 2021, la région Normandie, représentée par Me Arnaud Labrusse, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge solidaire de la société ID+ Ingénierie et de M. B A une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés. 

Par un mémoire en défense enregistré le 10 novembre 2021, M. B A, représenté par Me Patrice Lemiegre, demande à la cour : 

1°) d'annuler le jugement du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de reconnaitre la responsabilité totale de la société ID+ Ingénierie ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de la société ID+ Ingénierie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'expertise sur pièces était suffisante alors que l'expert n'a pu constater l'état initial du plancher et identifier de manière précise les causes du sinistre en raison des agissements non contradictoires de la région qui avait déjà fait réaliser les travaux ;

- l'expert a fait une inexacte interprétation des pièces contractuelles en considérant que la protection des ouvrages existants n'avait pas été prévue par la maitrise d'œuvre alors que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot commun le prévoyait ;

- la région Normandie a commis une faute particulièrement grave, ou du moins d'une imprudence caractérisée, en ne permettant pas l'identification contradictoire de l'origine exacte du sinistre du fait du remplacement du parquet dans son intégralité et en s'abstenant de présenter un référé-constat avant de préfinancer les travaux ;

- l'expert reconnaît une faute dans l'entretien du nouveau parquet, de telle sorte que la région a probablement employé la même méthode sur l'ancien parquet, faute de nature à exonérer la maitrise d'œuvre de sa responsabilité contractuelle ;

- la reprise partielle des parquets endommagés, que l'expert n'a pas totalement écartée, aurait permis de remédier aux désordres, de telle sorte que le préjudice doit être évalué à hauteur de 20% du montant des travaux, soit 13 200 euros ; 

- si la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre devait être retenue, elle ne pourra être reconnue qu'à l'égard de la société ID+ Ingénierie dès lors que cette dernière était chargée de rédiger le CCTP. 

Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 avril 2022. 

Par lettre du 15 juin 2022 les parties ont été informées que la cour était susceptible de soulever d'office, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le moyen tiré de l'impossibilité pour la région d'invoquer la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre dès lors que la réception de l'ouvrage a mis fins à leurs rapports contractuels. 

Par mémoire du 24 juin 2022, en réponse au moyen d'ordre public, la région Normandie soutient que compte tenu du litige en cours, le décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre n'a pas été établi et que le parquet endommagé ne faisant pas partie des travaux de réhabilitation objet du marché, il n'y a pas eu de réception des travaux  de maîtrise d'œuvre. En tout état de cause, elle invoque la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre pour défaut de conseil et, à titre subsidiaire, sa responsabilité délictuelle. En outre, la région demande au juge du contrat de dire et juger que la somme préfinancée par le maître d'ouvrage public en cours de chantier doit se déduire du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ; 

- le code des marchés publics  ;

- le cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit : 

1. Dans le cadre du projet d'extension et de la réhabilitation du gymnase Thomas Corneille à Barentin, comprenant la démolition des locaux existants à l'exception de la salle des sports, la reconstruction et l'extension des locaux concernés par la démolition et la création d'une salle polyvalente, la région Normandie a conclu le 17 mars 2009 un contrat de maîtrise d'œuvre avec M. B A, architecte et mandataire du groupement solidaire  de maîtrise d'œuvre, et la société ID+ Ingénierie, bureau d'études, économiste et OPC. Par acte d'engagement signé le 17 janvier 2011, le lot n°  2 " démolition-gros-œuvre-ravalement " a été confié à la SARL ECK et la SARL SHM s'est vu attribuer le lot n°  8 " menuiseries intérieures " prévoyant notamment une rénovation du parquet existant du gymnase. A la suite de l'apparition au cours du mois de décembre 2011 de désordres liés à la déformation du parquet du gymnase qui devait être conservé pendant l'opération, une expertise amiable a été organisée en 2012 par la société Saretec à l'initiative de l'assureur de la région, à l'issue de laquelle les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la cause des désordres et leur prise en charge. La région Normandie a, sans attendre la désignation d'un expert judiciaire, préfinancé des travaux de reprise de la totalité de la surface du parquet qui ont été réalisés par la société SHM, suivant avenant du 5 novembre 2012, pour un montant de 98 058,84 euros TTC. 

2. Postérieurement à la réalisation de ces travaux qui ont consisté notamment à remplacer la totalité de la surface du parquet du gymnase, la région Normandie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a fait droit à sa demande d'expertise par une ordonnance du 29 juillet 2014. L'expert désigné a remis son rapport le 28 février 2018. La société ID+ Ingénierie relève appel du jugement n° 1801722 du 28 août 2020, par lequel le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée solidairement avec M. A à verser à la région la somme de 66 000 euros TTC au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, avec intérêts et capitalisation et a mis à leur charge définitive les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC ainsi qu'une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, M. A demande également l'annulation de ce jugement. 

Sur le moyen soulevé d'office :

3. En vertu de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 (CCAG-PI), à l'issue des vérifications réalisées par le maître de l'ouvrage, celui-ci doit prononcer la réception avec ou sans réfaction ou le rejet des prestations dans un délai de deux mois et en l'absence de décision, les prestations doivent être considérées comme reçues à l'expiration de ce délai. L'article 7.2.3 du cahier des clauses administratives particulières  du marché de maîtrise d'œuvre prévoit des délais particuliers pour l'intervention de la décision du maître de l'ouvrage prononçant la réception, l'ajournement, la réception avec réfaction ou le rejet des documents d'études, allant de 2 à 6 semaines calendaires. Il stipule que " si cette décision n'est pas notifiée au titulaire dans le délai la prestation est considérée comme reçue, avec effet à compter de l'expiration du délai, conformément à l'article 33.1 dernier alinéa du CCAG  PI (acceptation tacite) ".

4. Indépendamment de la décision du maître d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre prévue par les stipulations susvisées du CCAG  PI applicable au marché en litige, la réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage. 

5. Il résulte de l'instruction que la demande formée devant le tribunal administratif de Rouen par la région Normandie, maître de l'ouvrage, tend à l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. B A et de la société ID+ Ingénierie. Il résulte toutefois de l'instruction, et il n'est pas contesté en appel, que les travaux de réhabilitation et d'extension du gymnase Thomas Corneille à Barentin ont fait l'objet d'une réception définitive. A cet égard, la région a produit les procès-verbaux de réception des travaux  du marché en litige, notamment des prestations relatives au lot n°  2 " démolitions gros œuvre ravalement " réalisées par la société ECK et du lot n°  8 " menuiseries intérieures " confié à la société SHM, signés respectivement les 12 novembre 2013 et 28 juin 2013 par le maître d'ouvrage. Si les travaux relatifs au remplacement du parquet du gymnase n'étaient pas initialement prévus au marché d'extension et de réhabilitation du gymnase, il est constant qu'ils ont été engagés en raison de désordres apparus au cours de ce chantier et ont été réalisés après conclusion d'un avenant le 5 novembre 2012 avec la société SHM chargée initialement de sa seule rénovation dans le cadre du même marché. Or, comme il a été dit au point 4, la réception de l'ouvrage emporte réception de l'ensemble des prestations de maîtrise d'œuvre, y compris celles relatives à la conception de l'ouvrage, qui sont indissociables, de sorte que cette réception fait obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception et de surveillance du chantier qu'ils ont éventuellement commises. Il suit de là que les conclusions de la région présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées. 

6. Si la région invoque, en réponse au moyen d'ordre public, le défaut de conseil de la maîtrise d'œuvre au moment de la réception des travaux, elle n'apporte aucun élément de nature à établir le manquement allégué. Elle n'est pas davantage fondée à invoquer, pour la première fois en appel, la responsabilité délictuelle de la maîtrise d'œuvre, en l'absence de nullité du contrat. Enfin, elle ne peut demander l'établissement du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre, avec déduction de la somme qu'elle a préfinancée en cours de chantier pour la reprise du parquet, qui relève d'un litige distinct. 

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société ID+ Ingénierie et M. A sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen les a condamnés à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018 et de leur capitalisation. Il convient donc de prononcer l'annulation du jugement et, par l'effet dévolutif, de rejeter la demande de la région Normandie devant le tribunal.

Sur les frais d'expertise :

8. Les frais de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen taxés et liquidés par une ordonnance du 23 mars 2018 à la somme de 11 361,82 euros TTC sont mis définitivement à la charge de la région Normandie. 

Sur les autres frais liés à l'instance :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Normandie la somme que la société ID+ Ingénierie et M. A demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par la région Normandie soient mises à la charge des appelants, qui ne sont pas les parties perdantes.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801722 du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen est annulé. 

Article 2 : La demande présentée par la région Normandie devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée. 

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC sont définitivement mis à la charge de la région Normandie.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ID+ Ingénierie, de M. A et les conclusions de la région Normandie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société ID+ Ingénierie, à la région Normandie et à M. B A.

Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Anne Khater première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 août 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Chauvin

La présidente de chambre,

Signé : A. SeulinLa greffière

Signé : A.S Villette 

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Normandie a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement M. B A et la société ID+ Ingénierie à lui verser la somme de 66 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, de mettre à leur charge la somme de 11 361,82 euros au titre des frais et honoraires de l'expert ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Par un jugement n° 1801722 du 28 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné solidairement M. A et la société ID+ Ingénierie à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, ainsi que de leur capitalisation à compter du 17 mai 2019, puis à chaque échéance annuelle. Le tribunal a mis les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC définitivement à la charge in solidum de M. A et de la société ID+ Ingénierie et une somme de 1 500 euros à verser à la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Procédure devant la cour : 

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 octobre 2020 et 10 septembre 2021, la société ID+ Ingénierie, représentée par Me Nicolas Barrabé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner M. B A à la garantir à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre et de limiter l'indemnisation de la région à la somme de 13 200 euros ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de M. B A la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que :

- le jugement attaqué méconnaît le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un procès équitable dès lors qu'il s'appuie sur l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen réalisée sur pièces, sans qu'aucune constatation sur la matérialité des désordres n'ait été possible, et dont l'existence par la société n'a pu être vérifiée ; la région Normandie qui a fait procéder dans la précipitation au remplacement du parquet, rendant impossible cette constatation, n'a pas présenté sa demande d'expertise en temps utile et les parties n'ont pu débattre contradictoirement de la nature et de l'étendue des dommages ;

- la cause des dommages résulte d'une erreur d'exécution par la société ECK qui, en sa qualité de professionnel de la construction, ne pouvait ignorer les précautions nécessaires pour protéger le parquet en bois et, secondairement, d'une erreur de surveillance des travaux de cette entreprise par M. A ;

- M. A, qui selon la décomposition des honoraires de l'équipe de maîtrise d'œuvre figurant à l'avenant n° 1 du marché de maitrise d'œuvre, était rémunéré 70% pour la phase APS, 60% pour la phase APD et 84,57% pour la DET, est responsable des dommages et doit, en application de l'article 1382 du code civil, la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, à hauteur de 70% ;

- c'est à tort que le tribunal a entériné la demande de la région tendant au versement de la somme de 66 000 euros correspondant au remplacement total de la surface du parquet ainsi que préconisé par l'expert judiciaire qui n'a pourtant pas été en mesure de se prononcer sur l'étendue des dommages, et alors qu'une réparation partielle sur 20% de la surface tel qu'envisagé dans le cadre des expertises d'assurances aurait pu suffire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juillet et 3 décembre 2021, la région Normandie, représentée par Me Arnaud Labrusse, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge solidaire de la société ID+ Ingénierie et de M. B A une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés. 

Par un mémoire en défense enregistré le 10 novembre 2021, M. B A, représenté par Me Patrice Lemiegre, demande à la cour : 

1°) d'annuler le jugement du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de reconnaitre la responsabilité totale de la société ID+ Ingénierie ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de la société ID+ Ingénierie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'expertise sur pièces était suffisante alors que l'expert n'a pu constater l'état initial du plancher et identifier de manière précise les causes du sinistre en raison des agissements non contradictoires de la région qui avait déjà fait réaliser les travaux ;

- l'expert a fait une inexacte interprétation des pièces contractuelles en considérant que la protection des ouvrages existants n'avait pas été prévue par la maitrise d'œuvre alors que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot commun le prévoyait ;

- la région Normandie a commis une faute particulièrement grave, ou du moins d'une imprudence caractérisée, en ne permettant pas l'identification contradictoire de l'origine exacte du sinistre du fait du remplacement du parquet dans son intégralité et en s'abstenant de présenter un référé-constat avant de préfinancer les travaux ;

- l'expert reconnaît une faute dans l'entretien du nouveau parquet, de telle sorte que la région a probablement employé la même méthode sur l'ancien parquet, faute de nature à exonérer la maitrise d'œuvre de sa responsabilité contractuelle ;

- la reprise partielle des parquets endommagés, que l'expert n'a pas totalement écartée, aurait permis de remédier aux désordres, de telle sorte que le préjudice doit être évalué à hauteur de 20% du montant des travaux, soit 13 200 euros ; 

- si la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre devait être retenue, elle ne pourra être reconnue qu'à l'égard de la société ID+ Ingénierie dès lors que cette dernière était chargée de rédiger le CCTP. 

Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 avril 2022. 

Par lettre du 15 juin 2022 les parties ont été informées que la cour était susceptible de soulever d'office, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le moyen tiré de l'impossibilité pour la région d'invoquer la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre dès lors que la réception de l'ouvrage a mis fins à leurs rapports contractuels. 

Par mémoire du 24 juin 2022, en réponse au moyen d'ordre public, la région Normandie soutient que compte tenu du litige en cours, le décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre n'a pas été établi et que le parquet endommagé ne faisant pas partie des travaux de réhabilitation objet du marché, il n'y a pas eu de réception des travaux  de maîtrise d'œuvre. En tout état de cause, elle invoque la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre pour défaut de conseil et, à titre subsidiaire, sa responsabilité délictuelle. En outre, la région demande au juge du contrat de dire et juger que la somme préfinancée par le maître d'ouvrage public en cours de chantier doit se déduire du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ; 

- le code des marchés publics  ;

- le cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit : 

1. Dans le cadre du projet d'extension et de la réhabilitation du gymnase Thomas Corneille à Barentin, comprenant la démolition des locaux existants à l'exception de la salle des sports, la reconstruction et l'extension des locaux concernés par la démolition et la création d'une salle polyvalente, la région Normandie a conclu le 17 mars 2009 un contrat de maîtrise d'œuvre avec M. B A, architecte et mandataire du groupement solidaire  de maîtrise d'œuvre, et la société ID+ Ingénierie, bureau d'études, économiste et OPC. Par acte d'engagement signé le 17 janvier 2011, le lot n°  2 " démolition-gros-œuvre-ravalement " a été confié à la SARL ECK et la SARL SHM s'est vu attribuer le lot n°  8 " menuiseries intérieures " prévoyant notamment une rénovation du parquet existant du gymnase. A la suite de l'apparition au cours du mois de décembre 2011 de désordres liés à la déformation du parquet du gymnase qui devait être conservé pendant l'opération, une expertise amiable a été organisée en 2012 par la société Saretec à l'initiative de l'assureur de la région, à l'issue de laquelle les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la cause des désordres et leur prise en charge. La région Normandie a, sans attendre la désignation d'un expert judiciaire, préfinancé des travaux de reprise de la totalité de la surface du parquet qui ont été réalisés par la société SHM, suivant avenant du 5 novembre 2012, pour un montant de 98 058,84 euros TTC. 

2. Postérieurement à la réalisation de ces travaux qui ont consisté notamment à remplacer la totalité de la surface du parquet du gymnase, la région Normandie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a fait droit à sa demande d'expertise par une ordonnance du 29 juillet 2014. L'expert désigné a remis son rapport le 28 février 2018. La société ID+ Ingénierie relève appel du jugement n° 1801722 du 28 août 2020, par lequel le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée solidairement avec M. A à verser à la région la somme de 66 000 euros TTC au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, avec intérêts et capitalisation et a mis à leur charge définitive les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC ainsi qu'une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, M. A demande également l'annulation de ce jugement. 

Sur le moyen soulevé d'office :

3. En vertu de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 (CCAG-PI), à l'issue des vérifications réalisées par le maître de l'ouvrage, celui-ci doit prononcer la réception avec ou sans réfaction ou le rejet des prestations dans un délai de deux mois et en l'absence de décision, les prestations doivent être considérées comme reçues à l'expiration de ce délai. L'article 7.2.3 du cahier des clauses administratives particulières  du marché de maîtrise d'œuvre prévoit des délais particuliers pour l'intervention de la décision du maître de l'ouvrage prononçant la réception, l'ajournement, la réception avec réfaction ou le rejet des documents d'études, allant de 2 à 6 semaines calendaires. Il stipule que " si cette décision n'est pas notifiée au titulaire dans le délai la prestation est considérée comme reçue, avec effet à compter de l'expiration du délai, conformément à l'article 33.1 dernier alinéa du CCAG  PI (acceptation tacite) ".

4. Indépendamment de la décision du maître d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre prévue par les stipulations susvisées du CCAG  PI applicable au marché en litige, la réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage. 

5. Il résulte de l'instruction que la demande formée devant le tribunal administratif de Rouen par la région Normandie, maître de l'ouvrage, tend à l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. B A et de la société ID+ Ingénierie. Il résulte toutefois de l'instruction, et il n'est pas contesté en appel, que les travaux de réhabilitation et d'extension du gymnase Thomas Corneille à Barentin ont fait l'objet d'une réception définitive. A cet égard, la région a produit les procès-verbaux de réception des travaux  du marché en litige, notamment des prestations relatives au lot n°  2 " démolitions gros œuvre ravalement " réalisées par la société ECK et du lot n°  8 " menuiseries intérieures " confié à la société SHM, signés respectivement les 12 novembre 2013 et 28 juin 2013 par le maître d'ouvrage. Si les travaux relatifs au remplacement du parquet du gymnase n'étaient pas initialement prévus au marché d'extension et de réhabilitation du gymnase, il est constant qu'ils ont été engagés en raison de désordres apparus au cours de ce chantier et ont été réalisés après conclusion d'un avenant le 5 novembre 2012 avec la société SHM chargée initialement de sa seule rénovation dans le cadre du même marché. Or, comme il a été dit au point 4, la réception de l'ouvrage emporte réception de l'ensemble des prestations de maîtrise d'œuvre, y compris celles relatives à la conception de l'ouvrage, qui sont indissociables, de sorte que cette réception fait obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception et de surveillance du chantier qu'ils ont éventuellement commises. Il suit de là que les conclusions de la région présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées. 

6. Si la région invoque, en réponse au moyen d'ordre public, le défaut de conseil de la maîtrise d'œuvre au moment de la réception des travaux, elle n'apporte aucun élément de nature à établir le manquement allégué. Elle n'est pas davantage fondée à invoquer, pour la première fois en appel, la responsabilité délictuelle de la maîtrise d'œuvre, en l'absence de nullité du contrat. Enfin, elle ne peut demander l'établissement du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre, avec déduction de la somme qu'elle a préfinancée en cours de chantier pour la reprise du parquet, qui relève d'un litige distinct. 

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société ID+ Ingénierie et M. A sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen les a condamnés à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018 et de leur capitalisation. Il convient donc de prononcer l'annulation du jugement et, par l'effet dévolutif, de rejeter la demande de la région Normandie devant le tribunal.

Sur les frais d'expertise :

8. Les frais de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen taxés et liquidés par une ordonnance du 23 mars 2018 à la somme de 11 361,82 euros TTC sont mis définitivement à la charge de la région Normandie. 

Sur les autres frais liés à l'instance :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Normandie la somme que la société ID+ Ingénierie et M. A demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par la région Normandie soient mises à la charge des appelants, qui ne sont pas les parties perdantes.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801722 du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen est annulé. 

Article 2 : La demande présentée par la région Normandie devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée. 

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC sont définitivement mis à la charge de la région Normandie.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ID+ Ingénierie, de M. A et les conclusions de la région Normandie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société ID+ Ingénierie, à la région Normandie et à M. B A.

Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Anne Khater première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 août 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Chauvin

La présidente de chambre,

Signé : A. SeulinLa greffière

Signé : A.S Villette 

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

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Cour administrative d'appel de Douai, 22/août/2022, n°20DA01683

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Normandie a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement M. B A et la société ID+ Ingénierie à lui verser la somme de 66 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, de mettre à leur charge la somme de 11 361,82 euros au titre des frais et honoraires de l'expert ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Par un jugement n° 1801722 du 28 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné solidairement M. A et la société ID+ Ingénierie à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, ainsi que de leur capitalisation à compter du 17 mai 2019, puis à chaque échéance annuelle. Le tribunal a mis les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC définitivement à la charge in solidum de M. A et de la société ID+ Ingénierie et une somme de 1 500 euros à verser à la région Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Procédure devant la cour : 

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 octobre 2020 et 10 septembre 2021, la société ID+ Ingénierie, représentée par Me Nicolas Barrabé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner M. B A à la garantir à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre et de limiter l'indemnisation de la région à la somme de 13 200 euros ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de M. B A la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que :

- le jugement attaqué méconnaît le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un procès équitable dès lors qu'il s'appuie sur l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen réalisée sur pièces, sans qu'aucune constatation sur la matérialité des désordres n'ait été possible, et dont l'existence par la société n'a pu être vérifiée ; la région Normandie qui a fait procéder dans la précipitation au remplacement du parquet, rendant impossible cette constatation, n'a pas présenté sa demande d'expertise en temps utile et les parties n'ont pu débattre contradictoirement de la nature et de l'étendue des dommages ;

- la cause des dommages résulte d'une erreur d'exécution par la société ECK qui, en sa qualité de professionnel de la construction, ne pouvait ignorer les précautions nécessaires pour protéger le parquet en bois et, secondairement, d'une erreur de surveillance des travaux de cette entreprise par M. A ;

- M. A, qui selon la décomposition des honoraires de l'équipe de maîtrise d'œuvre figurant à l'avenant n° 1 du marché de maitrise d'œuvre, était rémunéré 70% pour la phase APS, 60% pour la phase APD et 84,57% pour la DET, est responsable des dommages et doit, en application de l'article 1382 du code civil, la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, à hauteur de 70% ;

- c'est à tort que le tribunal a entériné la demande de la région tendant au versement de la somme de 66 000 euros correspondant au remplacement total de la surface du parquet ainsi que préconisé par l'expert judiciaire qui n'a pourtant pas été en mesure de se prononcer sur l'étendue des dommages, et alors qu'une réparation partielle sur 20% de la surface tel qu'envisagé dans le cadre des expertises d'assurances aurait pu suffire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juillet et 3 décembre 2021, la région Normandie, représentée par Me Arnaud Labrusse, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge solidaire de la société ID+ Ingénierie et de M. B A une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés. 

Par un mémoire en défense enregistré le 10 novembre 2021, M. B A, représenté par Me Patrice Lemiegre, demande à la cour : 

1°) d'annuler le jugement du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter la demande de la région Normandie ;

3°) à titre subsidiaire, de reconnaitre la responsabilité totale de la société ID+ Ingénierie ; 

4°) de mettre à la charge de la région Normandie et de la société ID+ Ingénierie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'expertise sur pièces était suffisante alors que l'expert n'a pu constater l'état initial du plancher et identifier de manière précise les causes du sinistre en raison des agissements non contradictoires de la région qui avait déjà fait réaliser les travaux ;

- l'expert a fait une inexacte interprétation des pièces contractuelles en considérant que la protection des ouvrages existants n'avait pas été prévue par la maitrise d'œuvre alors que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot commun le prévoyait ;

- la région Normandie a commis une faute particulièrement grave, ou du moins d'une imprudence caractérisée, en ne permettant pas l'identification contradictoire de l'origine exacte du sinistre du fait du remplacement du parquet dans son intégralité et en s'abstenant de présenter un référé-constat avant de préfinancer les travaux ;

- l'expert reconnaît une faute dans l'entretien du nouveau parquet, de telle sorte que la région a probablement employé la même méthode sur l'ancien parquet, faute de nature à exonérer la maitrise d'œuvre de sa responsabilité contractuelle ;

- la reprise partielle des parquets endommagés, que l'expert n'a pas totalement écartée, aurait permis de remédier aux désordres, de telle sorte que le préjudice doit être évalué à hauteur de 20% du montant des travaux, soit 13 200 euros ; 

- si la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre devait être retenue, elle ne pourra être reconnue qu'à l'égard de la société ID+ Ingénierie dès lors que cette dernière était chargée de rédiger le CCTP. 

Par une ordonnance du 7 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 avril 2022. 

Par lettre du 15 juin 2022 les parties ont été informées que la cour était susceptible de soulever d'office, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le moyen tiré de l'impossibilité pour la région d'invoquer la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre dès lors que la réception de l'ouvrage a mis fins à leurs rapports contractuels. 

Par mémoire du 24 juin 2022, en réponse au moyen d'ordre public, la région Normandie soutient que compte tenu du litige en cours, le décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre n'a pas été établi et que le parquet endommagé ne faisant pas partie des travaux de réhabilitation objet du marché, il n'y a pas eu de réception des travaux  de maîtrise d'œuvre. En tout état de cause, elle invoque la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre pour défaut de conseil et, à titre subsidiaire, sa responsabilité délictuelle. En outre, la région demande au juge du contrat de dire et juger que la somme préfinancée par le maître d'ouvrage public en cours de chantier doit se déduire du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ; 

- le code des marchés publics  ;

- le cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit : 

1. Dans le cadre du projet d'extension et de la réhabilitation du gymnase Thomas Corneille à Barentin, comprenant la démolition des locaux existants à l'exception de la salle des sports, la reconstruction et l'extension des locaux concernés par la démolition et la création d'une salle polyvalente, la région Normandie a conclu le 17 mars 2009 un contrat de maîtrise d'œuvre avec M. B A, architecte et mandataire du groupement solidaire  de maîtrise d'œuvre, et la société ID+ Ingénierie, bureau d'études, économiste et OPC. Par acte d'engagement signé le 17 janvier 2011, le lot n°  2 " démolition-gros-œuvre-ravalement " a été confié à la SARL ECK et la SARL SHM s'est vu attribuer le lot n°  8 " menuiseries intérieures " prévoyant notamment une rénovation du parquet existant du gymnase. A la suite de l'apparition au cours du mois de décembre 2011 de désordres liés à la déformation du parquet du gymnase qui devait être conservé pendant l'opération, une expertise amiable a été organisée en 2012 par la société Saretec à l'initiative de l'assureur de la région, à l'issue de laquelle les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la cause des désordres et leur prise en charge. La région Normandie a, sans attendre la désignation d'un expert judiciaire, préfinancé des travaux de reprise de la totalité de la surface du parquet qui ont été réalisés par la société SHM, suivant avenant du 5 novembre 2012, pour un montant de 98 058,84 euros TTC. 

2. Postérieurement à la réalisation de ces travaux qui ont consisté notamment à remplacer la totalité de la surface du parquet du gymnase, la région Normandie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a fait droit à sa demande d'expertise par une ordonnance du 29 juillet 2014. L'expert désigné a remis son rapport le 28 février 2018. La société ID+ Ingénierie relève appel du jugement n° 1801722 du 28 août 2020, par lequel le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée solidairement avec M. A à verser à la région la somme de 66 000 euros TTC au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, avec intérêts et capitalisation et a mis à leur charge définitive les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC ainsi qu'une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, M. A demande également l'annulation de ce jugement. 

Sur le moyen soulevé d'office :

3. En vertu de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret  n° 78-1306 du 26 décembre 1978 (CCAG-PI), à l'issue des vérifications réalisées par le maître de l'ouvrage, celui-ci doit prononcer la réception avec ou sans réfaction ou le rejet des prestations dans un délai de deux mois et en l'absence de décision, les prestations doivent être considérées comme reçues à l'expiration de ce délai. L'article 7.2.3 du cahier des clauses administratives particulières  du marché de maîtrise d'œuvre prévoit des délais particuliers pour l'intervention de la décision du maître de l'ouvrage prononçant la réception, l'ajournement, la réception avec réfaction ou le rejet des documents d'études, allant de 2 à 6 semaines calendaires. Il stipule que " si cette décision n'est pas notifiée au titulaire dans le délai la prestation est considérée comme reçue, avec effet à compter de l'expiration du délai, conformément à l'article 33.1 dernier alinéa du CCAG  PI (acceptation tacite) ".

4. Indépendamment de la décision du maître d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre prévue par les stipulations susvisées du CCAG  PI applicable au marché en litige, la réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage. 

5. Il résulte de l'instruction que la demande formée devant le tribunal administratif de Rouen par la région Normandie, maître de l'ouvrage, tend à l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. B A et de la société ID+ Ingénierie. Il résulte toutefois de l'instruction, et il n'est pas contesté en appel, que les travaux de réhabilitation et d'extension du gymnase Thomas Corneille à Barentin ont fait l'objet d'une réception définitive. A cet égard, la région a produit les procès-verbaux de réception des travaux  du marché en litige, notamment des prestations relatives au lot n°  2 " démolitions gros œuvre ravalement " réalisées par la société ECK et du lot n°  8 " menuiseries intérieures " confié à la société SHM, signés respectivement les 12 novembre 2013 et 28 juin 2013 par le maître d'ouvrage. Si les travaux relatifs au remplacement du parquet du gymnase n'étaient pas initialement prévus au marché d'extension et de réhabilitation du gymnase, il est constant qu'ils ont été engagés en raison de désordres apparus au cours de ce chantier et ont été réalisés après conclusion d'un avenant le 5 novembre 2012 avec la société SHM chargée initialement de sa seule rénovation dans le cadre du même marché. Or, comme il a été dit au point 4, la réception de l'ouvrage emporte réception de l'ensemble des prestations de maîtrise d'œuvre, y compris celles relatives à la conception de l'ouvrage, qui sont indissociables, de sorte que cette réception fait obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception et de surveillance du chantier qu'ils ont éventuellement commises. Il suit de là que les conclusions de la région présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées. 

6. Si la région invoque, en réponse au moyen d'ordre public, le défaut de conseil de la maîtrise d'œuvre au moment de la réception des travaux, elle n'apporte aucun élément de nature à établir le manquement allégué. Elle n'est pas davantage fondée à invoquer, pour la première fois en appel, la responsabilité délictuelle de la maîtrise d'œuvre, en l'absence de nullité du contrat. Enfin, elle ne peut demander l'établissement du décompte général et définitif de la maîtrise d'œuvre, avec déduction de la somme qu'elle a préfinancée en cours de chantier pour la reprise du parquet, qui relève d'un litige distinct. 

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société ID+ Ingénierie et M. A sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen les a condamnés à verser la somme de 66 000 euros TTC à la région Normandie au titre du remplacement intégral du parquet en bois du gymnase Thomas Corneille, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018 et de leur capitalisation. Il convient donc de prononcer l'annulation du jugement et, par l'effet dévolutif, de rejeter la demande de la région Normandie devant le tribunal.

Sur les frais d'expertise :

8. Les frais de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rouen taxés et liquidés par une ordonnance du 23 mars 2018 à la somme de 11 361,82 euros TTC sont mis définitivement à la charge de la région Normandie. 

Sur les autres frais liés à l'instance :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Normandie la somme que la société ID+ Ingénierie et M. A demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par la région Normandie soient mises à la charge des appelants, qui ne sont pas les parties perdantes.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801722 du 28 août 2020 du tribunal administratif de Rouen est annulé. 

Article 2 : La demande présentée par la région Normandie devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée. 

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à hauteur de 11 361,82 euros TTC sont définitivement mis à la charge de la région Normandie.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ID+ Ingénierie, de M. A et les conclusions de la région Normandie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société ID+ Ingénierie, à la région Normandie et à M. B A.

Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Anne Khater première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 août 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Chauvin

La présidente de chambre,

Signé : A. SeulinLa greffière

Signé : A.S Villette 

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

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