TA Lyon, 02/02/2023, n°2101482
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 28 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, transmise par une ordonnance du 2 mars 2021 au tribunal administratif de Lyon, et des mémoires enregistrés les 10 mai et 26 octobre 2021, la société Entreprise Mazet, représentée par Me Langlais, demande au tribunal :
1°) de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme de 60 573,92 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 22 décembre 2019, en règlement du solde des marchés conclus pour les lots n°s 4 et 5 pour la rénovation du lycée Marie Laurencin de Riom et en remboursement des retenues de garanties opérées sur la base de ces marchés ;
2°) de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que la région n'apporte pas la preuve de la notification de son courrier du 7 août 2020 ;
- la garantie de parfait achèvement ayant expiré le 22 novembre 2019 et en l'absence de réserves, les retenues de garantie devaient être libérées le 22 décembre 2019 ;
- faute de réponse du maître d'ouvrage dans le délai de trente jours imparti par le CCAG sur les projets de décompte final qu'elle lui avait adressés, ils sont devenus les décomptes généraux définitifs ;
- elle a transmis les projets de décompte final au maître d'œuvre, qui devait les transmettre au maître d'ouvrage ;
- s'agissant du lot n° 4, le retard pour lequel la région entend lui appliquer des pénalités ne lui est pas imputable ; des modifications du programme sont intervenues début octobre 2018 ;
- s'agissant du lot n°5, celui-ci a été achevé en octobre 2018 sans que des réserves aient été portées sur le procès-verbal de réception.
Par des mémoires en défense enregistrés le 9 février, le 10 mars et le 29 juin 2021, la région Auvergne-Rhône-Alpes conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 500 euros soit mise à la charge de la société Entreprise Mazet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la requête est tardive, compte tenu de l'intervention d'une décision explicite de rejet le 7 août 2020 ;
- à titre subsidiaire, la société Entreprise Mazet ne peut se prévaloir de décomptes généraux définitifs, dès lors qu'elle ne lui a pas notifié ses projets de décompte général ; en tout état de cause, compte tenu des avenants financiers de régularisation, les sommes demandées sont erronées ; les retenues de garantie n'ont pas pu être restituées en l'absence de régularisation de l'avenant n° 1 ;
- elle était fondée à appliquer les pénalités prévues au CCAP à la société Entreprise Mazet pour retard dans l'exécution de ses prestations et elle n'est pas recevable à les contester en l'absence de mémoire en réclamation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code des marchés publics ;
- l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 ;
- le décret n° 2019-1075 du 3 décembre 2018 ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertolo, rapporteur,
- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,
- et les observations de Mme A, représentant la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux marchés publics de travaux conclus le 15 juin 2017, la région Auvergne-Rhône-Alpes a confié à la société Entreprise Mazet la réalisation du lot n° 4 " plâtrerie peinture revêtements scellés " et du lot n° 5 " revêtements sol et mural souple " du chantier de rénovation des toitures et de la mise en sécurité et en accessibilité du lycée Marie Laurencin de Riom. La société Entreprise Mazet demande la condamnation de la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme de 60 573,92 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 22 décembre 2019, en règlement du solde de ces marchés et en remboursement des retenues de garanties opérées.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / () Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat. ".
3. Si la région Auvergne-Rhône-Alpes soutient que la requête est tardive pour avoir été enregistrée plus de deux mois après la décision du 7 août 2020 par laquelle elle a rejeté la demande de paiement de la société Entreprise Mazet, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 421-1 qu'un tel délai n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de la tardiveté de la requête ne peut qu'être écartée.
Sur le règlement du solde des marchés :
4. D'une part, aux termes de l'article 5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) commun aux marchés publics de travaux en litige : " A l'achèvement des travaux, le titulaire envoie son projet de décompte final au représentant de la maîtrise d'œuvre qui, après l'avoir accepté ou rectifié, le transmet pour traitement au système de gestion informatique des marchés. Ce dernier édite alors le décompte général. ". L'article 13.1 du même CCAP stipule que : " La réception a lieu à l'achèvement de l'ensemble des travaux (tous lots confondus) ; elle prend effet à la date de cet achèvement. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014, applicable aux marchés en litige en vertu des stipulations de l'article 2 du CCAP commun : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (). / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire () ". Aux termes de l'article 13.3.2 : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux () ". Aux termes de l'article 13.3.4 : " En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'œuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4 " Aux termes de l'article 13.4.2 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après:/ - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties () ". Aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif (). ".
6. Il résulte de la combinaison des stipulations précitées que, même si elle intervient après l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, courant à compter de la réception des travaux, la réception, par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, du projet de décompte final, établi par le titulaire du marché, est le point de départ du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4. Toutefois, dès lors qu'en application de l'article 13.4.2, l'expiration du délai de trente jours prévu par celui-ci est appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ce délai ne peut pas courir tant que ceux-ci n'ont pas tous deux reçus le document en cause.
7. Si la société Entreprise Mazet a envoyé ses projets de décompte final au maître d'œuvre, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle les aurait, conformément aux stipulations précitées de l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, transmis simultanément au maître d'ouvrage. Au surplus, si par un courrier du 13 février 2019 elle a mis en demeure la région de lui notifier le décompte général du marché du lot n° 4, il est constant que ce courrier n'était pas accompagné d'un projet de décompte général signé, comme l'exige l'article 13.4.4 du CCAG travaux. Par suite, la société Entreprise Mazet n'est pas fondée à soutenir que l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG Travaux a donné lieu à l'établissement de décomptes généraux et définitifs tacites. Par suite, ses conclusions tendant à ce que la région soit condamnée à lui verser le solde des décomptes généraux et définitifs qu'elle aurait obtenus tacitement doivent être rejetées.
Sur le remboursement des retenues de garantie :
8. D'une part, aux termes de l'article 44.1 du CCAG Travaux, auquel renvoie l'article 14.1 du CCAP commun aux marchés : " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. () A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. / Les sûretés éventuellement constituées sont libérées dans les conditions réglementaires. / Si le représentant du pouvoir adjudicateur fait obstacle à la libération des sûretés, il en informe, en même temps, le titulaire par tout moyen permettant de donner une date certaine. ".
9. D'autre part, aux termes de l'article R. 2191-35 du code de la commande publique : " Lorsque le marché prévoit une retenue de garantie, celle-ci est remboursée dans un délai de trente jours à compter de la date d'expiration du délai de garantie. / Toutefois, si des réserves ont été notifiées au créancier pendant le délai de garantie et si elles n'ont pas été levées avant l'expiration de ce délai, la retenue de garantie est remboursée dans un délai de trente jours après la date de leur levée. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 16 du décret du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique : " Les dispositions des articles R. 2191-35, R. 3114-4 et des sections 2 intitulées " Délais de paiement ", respectivement du chapitre II du titre IX du livre Ier de la deuxième partie et du chapitre III du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la commande publique s'appliquent aux contrats conclus à compter du 16 mars 2013 pour les créances dont le délai de paiement a commencé à courir à compter de la date d'entrée en vigueur de ce décret. ". L'article R. 2191-35 du code de la commande publique est applicable au litige qui porte sur le règlement du solde de marchés conclus le 15 juin 2017 et au titre desquels la créance de la société Entreprise Mazet est née après la publication au journal officiel, le 5 décembre 2018, du décret du 3 décembre 2018.
10. Enfin, aux termes du III de l'article 20 de l'ordonnance du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique : " Les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre IX du livre Ier de la première partie du code de la commande publique et celles de la section 2 du chapitre III du titre III du livre Ier de la troisième partie de ce code procédant à la codification du titre IV de la loi du 28 janvier 2013 susvisée s'appliquent aux contrats conclus à compter du 16 mars 2013, date d'entrée en vigueur de cette loi. ".
11. Il résulte de l'instruction que l'ensemble des réserves émises à la réception des travaux confiés à la société Entreprise Mazet ont été levées au plus tard le 3 avril 2019 et aucune réserve n'a été émise avant l'expiration du délai de garantie le 6 novembre 2019. Par suite, en application des stipulations contractuelles et des dispositions de l'article R. 2191-35 du code de la commande publique précitées, la région Auvergne-Rhône-Alpes était tenue de rembourser à la société Entreprise Mazet les retenus de garanties dans le délai de trente jours à compter du 6 novembre 2019. Ce droit étant acquis pour la société indépendamment de l'établissement du décompte général des marchés, la région ne peut utilement faire valoir que le montant des retenues de garantie à restituer ne serait pas définitif faute de signature d'avenants par la société Entreprise Mazet et que des pénalités de retard doivent être mises à la charge de cette dernière. Il y a lieu, dès lors, de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à verser à la société Entreprise Mazet la somme de 26 270,21 euros au titre du marché du lot n°4, ainsi que la somme de 7 421,20 euros au titre du marché du lot n°5, assorties des intérêts au taux contractuel de 8% à compter du 6 décembre 2019, date à laquelle la société avait droit à ce paiement en application des articles L. 2192-12 et L. 2192-13 du code de la commande publique.
Sur les frais du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que les sommes demandées à ce titre par la région Auvergne-Rhône-Alpes soient mises à la charge de la société Entreprise Mazet, qui n'est pas dans la présence instance la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme de 1 400 euros à verser à la société Mazet au titre des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La région Auvergne-Rhône-Alpes est condamnée à verser à la société Entreprise Mazet la somme de 33 691,41 euros, assortie des intérêts au taux contractuel de 8% à compter du 6 décembre 2019.
Article 2 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera à la société Entreprise Mazet la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Entreprise Mazet et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente,
M. Bertolo, premier conseiller,
Mme Conte, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.
Le rapporteur,La présidente,
C. BertoloC. Michel
La greffière,
K. Schult
La République mande et ordonne à la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier