Concilier pénalités et prise de possession anticipée de l'ouvrage soulève souvent des questions pratiques.
L’article 41.8 du CCAG Travaux stipule que :
« La prise de possession des ouvrages par le maître d'ouvrage doit être systématiquement précédée de leur réception. Toutefois, en cas d'urgence, cette possession peut intervenir avant la réception, à condition qu'un état des lieux contradictoire ait été établi au préalable. »
L’article 42.2, du même CCAG, complète :
« La prise de possession anticipée, avant l'achèvement total des travaux, entraîne le transfert de la garde des ouvrages et doit être précédée d'une réception partielle, dont les conditions sont déterminées par les documents particuliers du marché et notifiées par ordre de service. Ces conditions doivent, à minima, inclure l'établissement d'un état des lieux contradictoire. »
Il découle de ces articles deux types de prise de possession d'un ouvrage.
- Prise de possession partielle de l'ouvrage précédée d'une réception partielle.
- Prise de possession générale de l'ouvrage fondée sur l'urgence.
Dans les deux cas, les pénalités sont calculées jusqu'à la date d'effet de la prise de possession de l'ouvrage.
Pénalités et prise de possession anticipée précédée d’une réception partielle #
Dès lors que la réception, qu’elle soit prononcée sans réserve, avec réserve, ou sous réserve, indique la date d’achèvement des prestations, l’acheteur ne peut imposer des pénalités au-delà de cette date en ce qui concerne ces prestations.
Toutefois, ce principe ne s'applique pas aux autres types de pénalités. Par exemple, les pénalités de retard pour non-levée des réserves dans les délais, les pénalités pour infractions sur le lieu d’exécution des travaux, ou celles concernant le retard dans la transmission des documents1 restent applicables. D’ailleurs, concernant les pénalités liées à la transmission de certains documents2, elles ne sont envisageables qu’à compter de la réception ou de la prise de possession anticipée de l’ouvrage avec réserves.
Mais, l’acheteur conserve toujours la possibilité de définir, dans ses documents particuliers du contrat, le régime des pénalités en cas de prise de possession anticipée de l’ouvrage.
Sur ce point, la clause permettant au maître d’ouvrage d’appliquer des pénalités de retard pour l’exécution des prestations jusqu’à la réception définitive des travaux serait-elle valable, même lorsqu’une prise de possession anticipée est intervenue ? Cette question mérite réflexion, particulièrement quand on sait qu'en pratique, une prise de possession anticipée de l’ouvrage est souvent liée à un manquement du ou des titulaires à l’exécution des travaux dans les délais contractuels.
Qu’à cela ne tienne, il ne semble pas que le juge administratif se soit encore prononcé sur cette question. Au moins trois points peuvent fragiliser une telle clause.
- En premier lieu, à partir du moment où cette prise de possession exige une réception partielle des prestations, il est possible d’envisager qu'elle intervienne après l’exécution de l’essentiel des prestations prévues par le contrat.
- En deuxième lieu, l'entrepreneur a un droit acquis à la réception, si les travaux achevés sont en état d'être reçus3.Prévoir des pénalités au-delà de la prise de possession de l’ouvrage aurait pour effet de neutraliser les effets de la réception (même partielle), et en particulier la fixation de la date d’achèvement des travaux par le procès-verbal actant la réception. Comme mentionné ci-dessus, le décompte du nombre de jours de retard pouvant donner lieu à l’application de pénalités ne peut dépasser cette date pour l’exécution des prestations.
- En troisième et dernier lieu, cette clause, qui prolonge la possibilité pour l'acheteur d’appliquer des pénalités de retard jusqu’à la réception définitive des travaux à la suite d’une prise de possession anticipée de l’ouvrage, suppose l’application de la formule de calcul des pénalités réservée à l’exécution des prestations aux réserves émises lors de la prise de possession de l’ouvrage, puisqu’il ne peut le faire qu’après (au moins) une réception partielle avec réserves (sauf en cas d'urgence).
Le juge administratif considère toutefois que la formule de calcul des pénalités, prévue pour l'exécution des prestations, est inadaptée pour les pénalités appliquées afin de sanctionner les retards pris dans la levée des réserves4.
Ainsi, la solution la moins risquée pour le maître d’ouvrage consiste à prévoir des pénalités pour l’exécution des prestations jusqu’à la réception, y compris si la réception précède une prise de possession anticipée de l’ouvrage, et des pénalités pour retard dans la levée des réserves, y compris si ces réserves succèdent à une prise de possession anticipée de l’ouvrage.
Pénalités et prise de possession générale anticipée fondée sur l’urgence #
Contrairement à une prise de possession partielle de l'ouvrage qui ne concerne qu'une ou plusieurs prestations exécutées, l'acheteur a la possibilité de procéder à une prise de possession générale englobant l'intégralité de l'ouvrage
Si le maître d’ouvrage prend possession de l’ouvrage de manière anticipée, sans prononcer au préalable une réception partielle assortie de réserve, il ne serait pas fondé à appliquer au titulaire défaillant des pénalités de retard.
À titre d’exemple, le juge administratif a considéré que « le SDM3 avait pris possession des installations et aurait dû procéder à une réception des travaux avec réserves. Par suite, il n’est pas fondé à demander l’application des pénalités de retard ».
Ainsi, si les pénalités de retard sont calculées jusqu'à la date de réception des prestations d'un marché public, la prise de possession anticipée de l'ouvrage empêche le maître d'ouvrage d'appliquer au titulaire fautif des pénalités de retard dans l’exécution des prestations. En effet, dans ce contexte, il aurait dû effectuer une réception des travaux avec réserves à partir de la mise en service industrielle de l'ouvrage, incluant les essais de performance5.
Toutefois, en cas d’urgence, le maître d’ouvrage peut prendre possession de l’ouvrage sans réception préalable « sous réserve de l'établissement préalable d'un état des lieux contradictoire » – 41.8 du CCAG Travaux.
Dans ce cas également, on peut considérer que, si le maître d’ouvrage émet des réserves lors de l’établissement de l’état des lieux contradictoire, il pourrait fixer un délai pour leur levée en les soumettant aux clauses de pénalités prévues par le marché concernant les réserves.
Il n'est également pas impossible pour le maître d'ouvrage de procéder à une prise de possession anticipée d'une partie ou de plusieurs parties de l'ouvrage sur le fondement de l'urgence.